Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 45e Législature
Volume 154, Numéro 5
Le mardi 3 juin 2025
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Projet de loi sur la Journée nationale de sensibilisation à la drépanocytose
- La Loi sur les aliments et drogues
- Projet de loi interdisant la promotion des boissons alcooliques
- La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition
- Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie
- Projet de loi sur le Mois du patrimoine ukrainien
- Projet de loi sur le cadre national sur la publicité sur les paris sportifs
- La Loi constitutionnelle de 1982
- Les travaux du Sénat
LE SÉNAT
Le mardi 3 juin 2025
La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
Les travaux du Sénat
Adoption de la motion tendant à prolonger la durée des déclarations de sénateurs
L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant toute disposition du Règlement, je propose que, pour la séance d’aujourd’hui, les déclarations de sénateurs soient prolongées par la même durée pris par les candidats au poste de président intérimaire pour faire leurs déclarations, le cas échéant.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
La présidence intérimaire du Sénat
Discours des candidats
Son Honneur la Présidente : Honorables sénatrices et sénateurs, tel qu’annoncé jeudi dernier, les sénateurs avaient jusqu’à hier, le lundi 2 juin à midi pour confirmer leur intérêt à occuper la fonction de Président intérimaire du Sénat.
Aujourd’hui, pendant la période des déclarations de sénateurs, nous entendrons les deux candidats : l’honorable René Cormier et l’honorable Pierrette Ringuette.
[Français]
L’ordre des discours sera déterminé par tirage au sort.
Le premier candidat à faire son discours sera l’honorable Pierrette Ringuette.
L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénatrices et sénateurs, à mon tour, je souhaite remercier et féliciter le personnel du Sénat, la Présidente et particulièrement l’huissier du bâton noir de leur travail exceptionnel lors de la visite historique du roi pour la lecture du discours du Trône. Bravo à vous, monsieur Peters, et à votre équipe.
Des voix : Bravo!
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : Chers collègues, je serai brève et j’irai droit au but. Il s’agit de la troisième élection de la personne qui assurera la présidence intérimaire du Sénat. Jeudi dernier, j’ai donné préavis de ma candidature à notre greffière. Vous avez également reçu un courriel de ma part dans lequel je décris mon expérience professionnelle pertinente pour ce poste. Une fois encore, je sollicite votre soutien pour un nouveau mandat.
Notre mandat constitutionnel, qui consiste à examiner objectivement les lois, nous oblige parfois à débattre de questions controversées. Comme nous sommes issus de régions et d’horizons différents, il est important que toutes nos voix soient entendues et prises en considération. Ensemble, nous pouvons traiter de dossiers difficiles. Nous aurons parfois des opinions différentes. C’est normal, mais nous devrons les exprimer respectueusement. Pour que nos efforts portent leurs fruits et que le Parlement fonctionne efficacement, la personne occupant le fauteuil doit rendre des décisions équitables, justes et fermes.
[Français]
La personne qui occupe le fauteuil doit non seulement bien connaître les règlements et le décorum, mais aussi avoir une vision particulière qui, à mon avis, s’acquiert avec l’expérience.
[Traduction]
Dans mon cas, mon expérience et ma vision des choses m’aident à faire preuve de respect, d’équité et d’impartialité envers tous les sénateurs. Ces qualités vous donnent, à vous, sénateurs, confiance en la présidence et dans le processus suivi, ce qui se traduit par des résultats productifs pour le Sénat et pour tous les Canadiens.
[Français]
Depuis 2020, les sénateurs et sénatrices ont pu constater le professionnalisme de ma présidence, et j’espère que nos nouveaux sénateurs pourront aussi en profiter.
[Traduction]
En terminant, ce serait un honneur pour moi de servir à nouveau comme Présidente intérimaire qui guiderait nos délibérations durant cette nouvelle législature. Merci, meegwetch, wela’lioq.
Des voix : Bravo!
L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, ces derniers mois, loin du Sénat en raison de la prorogation et des élections, j’ai eu l’occasion de réfléchir au rôle important du Sénat et à la contribution que je peux apporter à cette institution.
En repensant à mes neuf premières années, j’ai fait le bilan de mes accomplissements et j’ai commencé à me concentrer sur les cinq années à venir, jusqu’à ma retraite.
Comme la plupart d’entre vous le savent, je suis très présent et actif au Sénat. En l’absence de la Présidente intérimaire, j’ai eu le privilège d’assurer la présidence à plusieurs reprises en tant que Président suppléant. À l’extérieur du Sénat, j’ai contribué à la diplomatie parlementaire en participant à plusieurs missions et j’ai cofondé deux groupes d’amitié.
Avec l’arrivée des nouveaux sénateurs et l’ouverture de la 45e législature, j’ai longuement réfléchi à l’importance de partager le leadership et de faire place aux autres dans les différentes fonctions que j’occupe.
Par conséquent, honorables sénateurs, j’ai jugé que, si l’occasion m’était donnée d’être élu Président intérimaire, il était temps pour moi de me retirer de tous les comités exécutifs et de me consacrer entièrement au Sénat.
Selon ce que j’ai entendu lors de nos récentes conversations, les sénateurs aimeraient que le Règlement soit mieux respecté et surtout que le décorum soit mieux observé et que l’on veille davantage à ce que tous les sénateurs aient la possibilité d’obtenir la parole, de s’exprimer et d’être entendus dans l’enceinte, peu importe où ils sont assis.
Si nous avons le droit de parler, chers collègues, nous avons également le devoir d’écouter, et cela n’est possible que si nous assurons le respect du décorum, dont nous sommes tous responsables.
Quelles sont les expériences et les compétences que je possède pour occuper cette fonction importante? Après neuf ans, j’ai une bonne compréhension du fonctionnement du Sénat, de ses principales composantes et des dynamiques politiques qui entrent en jeu. Bien que la maîtrise du Règlement soit un apprentissage continu pour nous tous, j’en ai une bonne connaissance et je suis reconnaissant aux greffiers, qui nous apportent un soutien précieux lorsque nous occupons cette fonction.
Mes sept années d’expérience à la présidence d’un comité ont confirmé ma capacité à être efficace, juste et équitable, et à respecter les différentes approches, les différents points de vue et la diversité de mes collègues.
[Français]
Je suis reconnu pour ma capacité d’écoute, pour faire passer le bien commun avant mes convictions et intérêts personnels et pour créer un environnement de travail propice à des débats vigoureux livrés de manière constructive et respectueuse.
[Traduction]
Avant de rejoindre le Sénat, chers collègues, j’ai consacré toute ma carrière à rassembler des personnes d’horizons et d’aspirations différents autour d’objectifs communs.
Si vous m’accordez votre confiance, je m’engage à consacrer tout mon temps, ma passion et mon énergie à la conduite de ce mandat.
[Français]
Je veillerai aussi à ce que tous les sénateurs puissent être entendus et écoutés dans la langue officielle de leur choix.
Honorables sénateurs, nous sommes des gardiens de la démocratie. Je souhaite la meilleure des chances à la sénatrice Ringuette, et je vous remercie de votre appui et de votre attention.
Des voix : Bravo!
Son Honneur la Présidente : Comme il n’y a que deux candidats, le vote préférentiel ne sera pas nécessaire. Le vote débutera dans une heure, à 15 h 9, pour se prolonger jusqu’à une heure suivant l’ajournement du Sénat aujourd’hui. Le vote reprendra demain, le mercredi 4 juin, à partir de 11 heures (heure de l’Est) et se terminera une heure après l’ajournement du Sénat, à condition que tout sénateur qui était en attente à cette heure ait l’occasion de voter.
Un courriel du Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre sera envoyé pour confirmer l’ouverture du bureau de vote aujourd’hui et demain. Je vous rappelle que le bureau de vote sera situé dans l’aire de travail des sénateurs à côté de la salle de lecture. Des rappels seront envoyés de façon périodique pendant la période du vote, aujourd’hui et demain.
(1410)
[Traduction]
Les Snowbirds des Forces canadiennes
L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, dimanche dernier avait lieu la Journée des Forces armées canadiennes. Je crois opportun de souligner la contribution au Canada des Snowbirds des Forces canadiennes, qui sont basés à Moose Jaw, en Saskatchewan, et que l’on appelle aussi l’Escadron de démonstration aérienne 431. J’ai d’ailleurs eu l’honneur dernièrement de remettre la Médaille du couronnement du roi Charles III aux membres de l’escadron en reconnaissance des services qu’ils ont rendus au Canada et à la Couronne.
Pendant plus de 50 ans, les Snowbirds ont constitué un emblème important de la fière tradition militaire aérienne du Canada. Depuis quelques mois, la souveraineté nationale est sur toutes les lèvres, tout comme la défense du Canada et son identité. Les Snowbirds sont l’incarnation même de la souveraineté et de la fierté canadiennes. Cet escadron est un puissant symbole canadien d’espoir et de liberté. Les Snowbirds nous inspirent grâce à la force et à l’élégance qui se dégagent de leurs prouesses aériennes dans le ciel immense des Prairies.
Moi-même, ils ont su m’inspirer. À l’automne 2023, j’ai eu l’immense bonheur d’assister à la réunion de l’équipe des Snowbirds avant le spectacle de fin d’année qu’ils donnaient au 15e Escadre. Juste d’être assise là et de pouvoir les écouter passer en revue leur chorégraphie de vol et leurs acrobaties, j’étais presque aussi excitée qu’une enfant. C’est ce sentiment d’émerveillement qui fait des Snowbirds un outil de recrutement militaire aussi efficace, même si je n’ai pas l’intention de devenir moi-même pilote de l’air de sitôt.
Ce jour-là, la Snowbird 2, la capitaine Caitie Clapp, m’a dit qu’à 12 ans, elle rêvait déjà de devenir une pilote de cet escadron après avoir vu la prestation des Snowbirds dirigée par la commandante divisionnaire Maryse Carmichael, la première femme à se joindre à cet escadron. N’est-ce pas merveilleux que ces pilotes soient devenues à leur tour une source d’inspiration pour une nouvelle génération de jeunes Canadiens?
Les Snowbirds incarnent l’idéal canadien à son meilleur. Lorsque j’ai appris au chef de l’équipe, le major Brent Handy, que je souhaitais présenter ces médailles à son équipe, il m’a demandé tout de go s’il y en aurait assez pour en donner à tous les membres de l’équipe, parce qu’il voulait que tous ceux qui soutiennent les pilotes dans l’ombre soient aussi reconnus à leur juste valeur. Les pilotes sont bien secondés par toute une gamme de techniciens de l’aviation et de l’avionique, de spécialistes de la logistique et de la sécurité et de responsables des relations publiques. Je n’avais malheureusement qu’un nombre très limité de médailles à remettre, mais selon moi, la demande du major Handy en dit très long sur l’importance qui est accordée à chacun des membres de l’équipe des Snowbirds. Ils servent tous le Canada avec grand honneur.
En plus du major Handy et de la capitaine Clapp, j’ai aussi présenté des médailles aux pilotes suivants : le capitaine Patrick Charette, le capitaine Brendan Pellow, le capitaine Scott Boyd, le capitaine Kyle Taylor, le capitaine Thomas Thornton, le capitaine Marc-André Plante, le capitaine Patrice Powis-Clement et le capitaine Richard MacDougall, ainsi qu’au responsable des relations publiques, le capitaine Philip Rochon. Au nom de tous les Canadiens, je tiens à remercier l’ensemble de l’équipe des Snowbirds d’être un ciment de l’unité canadienne et une source d’inspiration et d’espoir pour nous tous. Puissent les Snowbirds s’élever aussi haut pendant encore 50 ans.
Des voix : Bravo!
Le décès de Rolf Hougen, O.C., O.Y.
L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à l’un des bâtisseurs du Yukon. Il s’agit d’une histoire de famille.
Le père de Rolf Hougen, Berent, arrive au Yukon en 1906. Pour s’y rendre, il ne prend pas le train de Skagway, en Alaska : il marche sur la voie ferrée de White Pass jusqu’à Whitehorse, ce qui lui prend cinq jours. À Whitehorse, il construit un radeau de billes, puis il descend le fleuve Yukon jusqu’à Dawson, où il travaille pour de grandes entreprises de dragage avant de s’installer à Cripple Creek, en Alaska, où il exploite un hôtel avec un associé. En 1913, il vend son hôtel, puis il retourne en Norvège, où il épouse Margrethe. Un an plus tard, ils immigrent au Canada. En 1944, Berent et Margrethe retournent au Yukon avec le plus jeune de leurs sept enfants, un garçon de 14 ans prénommé Rolf. La route de l’Alaska est en construction, le Yukon est en plein essor, et les Hougen ouvrent un petit magasin. Berent travaille à la construction de la route, tandis que Margrethe tient le magasin, et le jeune Rolf l’aide dans sa tâche après l’école.
En 1947, Rolf, qui a terminé sa 12e année, prend la direction du magasin à temps plein, puis, en 1949, Hougen’s Limited devient un véritable grand magasin. En 1952, Rolf devient l’un des fondateurs de l’Association des jeunes. Trois ans plus tard, il épouse Margaret Van Dyke, qui est originaire d’Edmonton.
Les années 1950 sont une période de changement. Le Yukon isolé commence à se doter d’équipements modernes tels que la télévision par câble, et Rolf Hougen, avec ses associés, fonde WHTV. Le service de télédiffusion est incontestablement primitif, diffusant sur une seule chaîne, en noir et blanc, quatre heures par jour, des programmes préenregistrés qui datent de six mois. En 1965, les programmes, livrés sur bande par camion, ne datent que d’une semaine. Les très jeunes enfants — comme moi — pensent alors que leurs pères et leurs frères sont extraordinaires parce qu’ils savent déjà qui va gagner le match de hockey qui joue à la télévision.
Au cours des 20 années suivantes, Rolf, doté d’une vision avant-gardiste, investit dans le Yukon, crée la Klondike Broadcasting Company, ou CKRW, et devient propriétaire du concessionnaire Ford local et de l’Arctic Investment Corporation. En 1978, Rolf est la force motrice de Cancom, Canadian Satellite Communications Inc., qui fournit des signaux de radio et de télévision multicanaux à plus de 2 000 communautés éloignées à travers le Canada. À l’époque, la proposition qu’il fait au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, prévoit la somme énorme de 38 millions de dollars pour la mise en place et l’exploitation de la société, mais ne prévoit aucun profit pendant les quatre premières années.
La vie de Rolf Hougen ne se mesure pas seulement en termes de réussite dans le monde des affaires. Il a été président et membre fondateur de la Chambre de commerce de Whitehorse et du Yukon Sourdough Rendezvous, ainsi que président fondateur de la Yukon Foundation. Au niveau national, il a été président de la Chambre de commerce du Canada et officier de l’Ordre du Canada.
Sur le plan international, après avoir passé un an en France avec sa famille pour apprendre le français, Rolf a été consul honoraire de France pour le Yukon. Le président de la France l’a nommé officier de l’ordre national du Mérite.
Marg est décédée en 2022 et Rolf Hougen, en septembre dernier. Leur famille, composée de six enfants et de 18 petits-enfants, perpétue aujourd’hui encore la tradition du commerce et du service public à la communauté. Rolf, nous vous remercions pour votre dévouement envers le Yukon et votre engagement envers le Canada.
Merci. Shä̀w níthän. Mahsi’cho. Gùnáłchîsh.
Les péages des ponts et des traversiers
L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, j’aimerais vous faire part d’une excellente nouvelle. Le péage de 50 $ pour traverser le pont de la Confédération, qui relie l’Île-du-Prince-Édouard au Nouveau-Brunswick, sera réduit à 20 $.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Downe : Tant le premier ministre, Mark Carney, que le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, ont promis dans leur programme électoral de remédier à l’iniquité régionale que représentent les péages coûteux au Canada atlantique. En outre, le premier ministre Carney a promis de réduire de moitié au moins le coût de 91 $ du traversier saisonnier entre Wood Islands, à l’Île-du-Prince-Édouard, et Caribou, en Nouvelle-Écosse, ainsi que le coût, qui peut atteindre 220 $ l’aller-retour, du traversier qui relie Souris, à l’Île-du-Prince-Édouard, aux Îles-de-la-Madeleine, au Québec.
Autre bonne nouvelle, le programme du Parti libéral contenait la même promesse pour la liaison de Marine Atlantique entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador, dont le prix peut atteindre près de 500 $.
Dix ans après l’annonce par Justin Trudeau de son intention de supprimer le péage sur le pont Champlain, à Montréal, ce qui représente un revirement complet par rapport à la politique nationale consistant à faire payer par les utilisateurs l’infrastructure de transport qui relève du gouvernement fédéral, les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard et les Canadiens de l’Atlantique se voient accorder un répit financier. Le premier ministre Carney passe à l’action.
Étant donné que le pont Champlain, qui a coûté plus de 4 milliards de dollars à construire, et le pont de la Confédération, qui a coûté plus de 1 milliard de dollars, appartiennent au gouvernement du Canada, les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard se demandaient depuis longtemps pourquoi ce traitement inégal, selon laquelle certains Canadiens pouvaient emprunter un pont sans péage alors que d’autres étaient contraints de payer plus de 50 $, n’avait pas été corrigé et pourquoi les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard étaient traités comme des Canadiens de deuxième classe. L’annonce tant attendue de la réduction du péage procurera un répit financier aux habitants de l’Île-du-Prince-Édouard et contribuera à réduire les obstacles au commerce dans le Canada atlantique.
Les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard ne reçoivent pas un traitement de faveur, mais plutôt le résultat attendu depuis longtemps. Malgré la réduction des droits de péage pour le pont de la Confédération ouvert à l’année et le traversier saisonnier de Wood Islands dans l’Est de l’Île-du-Prince-Édouard, la subvention fédérale annuelle nécessaire pour soutenir ces infrastructures vitales restera inférieure au soutien du gouvernement fédéral accordé pour le pont Champlain à Montréal.
Chers collègues, je tiens à remercier les autres sénateurs de l’île — le sénateur Francis et les sénatrices MacAdam et Robinson — de leur soutien, ainsi que tous les Prince-Édouardiens qui ont uni leurs voix dans l’intérêt de l’Île-du-Prince-Édouard au cours de cette campagne, qui a duré une décennie.
Surtout, je tiens à remercier le premier ministre Carney, qui a décidé de traiter tous les Canadiens sur un pied d’égalité, peu importe où ils vivent au pays.
Des voix : Bravo!
(1420)
Remerciements adressés aux chefs de partis
L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, alors que la fête du Canada approche à grands pas et que nous réfléchissons à tout ce que font les parlementaires pour améliorer les conditions de vie des Canadiens, je tiens à prendre quelques instants pour remercier trois chefs politiques qui siégeaient au Parlement lors de la dernière législature et qui ont quitté la vie politique. Je veux bien sûr parler du très honorable Justin Trudeau, de l’honorable Erin O’Toole et de M. Jagmeet Singh.
Les réalisations de M. Trudeau à titre de chef libéral et de 23e premier ministre du Canada sont nombreuses. Il a notamment réussi à renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain avec une administration américaine difficile, il a aidé le Canada à traverser la pandémie de COVID-19 et il a créé une série de politiques socio-économiques visant à améliorer le sort des Canadiens.
Entre autres mesures marquantes, il a instauré l’Allocation canadienne pour enfants, il s’est beaucoup intéressé à la réconciliation avec les Premiers Peuples, il a élargi le Régime de pensions du Canada, il a créé le programme national de services de garde, il a mis en œuvre des politiques de lutte contre les changements climatiques, il a prêté assistance à l’Ukraine, il a élaboré des stratégies en Afrique et dans la région indo-pacifique, il a resserré les lois sur le contrôle des armes à feu et il a nommé un cabinet paritaire.
Je ne peux évidemment pas parler objectivement de sa décision de mettre en œuvre la plus importante réforme du Sénat du Canada depuis 1867 en faisant des sénateurs des parlementaires indépendants. Rappelons bien sûr que j’ai moi-même été nommé sénateur par le premier ministre Trudeau.
M. Erin O’Toole a été chef du Parti conservateur du Canada et de la loyale opposition de Sa Majesté pendant un an et demi. Il a défendu plusieurs causes importantes, notamment l’accroissement des Forces armées canadiennes et l’amélioration des soins et du bien-être pour les anciens combattants.
Il a réclamé une politique fédérale plus agressive en matière de logement, un congé de TPS pendant la période des Fêtes et une taxe sur le carbone pour les industries, mesures qui, paradoxalement, ont ensuite été mises en œuvre par le gouvernement libéral. Un fait remarquable à souligner, c’est que M. O’Toole avait remporté le vote populaire en 2021, mais pas la majorité des sièges.
M. Jagmeet Singh, quant à lui, a dirigé son parti avec énergie et conviction pendant près de huit ans, et il s’est porté à la défense de nombreuses idées progressistes ayant une incidence sur les travailleurs canadiens. En concluant un accord pour maintenir le gouvernement libéral minoritaire au pouvoir, il a pu concrétiser deux politiques importantes. Tout comme le Canada associe toujours le nom de Tommy Douglas à l’assurance-maladie, l’histoire retiendra pour les années à venir, et à juste titre, que c’est Jagmeet Singh qui a joué un rôle clé dans la mise en place de l’assurance-médicaments et du programme de soins dentaires.
[Français]
Honorables sénateurs, de toutes les fonctions au Parlement, la direction d’un parti politique est certainement la plus difficile et elle est rarement exempte de controverses et d’opposition. C’est une tâche difficile pour les leaders, mais aussi pour leur famille.
[Traduction]
Alors que la fête du Canada arrive à grands pas pour célébrer notre pays, il est de mise de remercier Justin Trudeau, Erin O’Toole et Jagmeet Singh, ainsi que leurs familles, pour les services considérables qu’ils ont rendus au Parlement et au Canada. Merci.
Tilt Cove
L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je présente aujourd’hui le chapitre 87 de « Notre histoire ». Mes amis, je suis sûr que vous savez tous que le nom de la métropole du Canada commence par la lettre « T ». En effet, c’est la grande ville de Toronto, en Ontario, qui compte environ 6,2 millions d’habitants.
Je crois cependant que bon nombre d’entre vous ignorent que le nom de la plus petite ville du Canada commence également par la lettre « T ». Tilt Cove est une charmante ville pittoresque située dans la magnifique province de Terre-Neuve-et-Labrador et compte quatre résidants en tout. Oui, vous m’avez bien entendu, il y a quatre résidants.
Le maire, son épouse, qui est la greffière municipale, ainsi que le frère de cette dernière et son épouse, forment le conseil municipal de Tilt Cove. Je crois que le processus décisionnel se déroule généralement bien plus facilement à Tilt Cove qu’ici, à Ottawa.
Malheureusement, Tilt Cove n’a pas toujours détenu le titre de plus petite ville du Canada. Son histoire, riche et fière, remonte à loin. Tilt Cove se trouve dans la région de la baie Notre Dame, dans ma province, et fut d’abord un petit village de pêcheurs, après avoir été fondé en 1813 par George et Mary Winsor, qui venaient de Plymouth, en Angleterre.
En 1857, un dénommé Smith McKay a découvert de riches gisements de minerai de cuivre. Les activités minières ont débuté en 1864, et des gens de partout à Terre-Neuve-et-Labrador et du reste du pays ont emménagé à Tilt Cove pour profiter des nombreux emplois que l’ouverture d’une nouvelle mine y créait.
La population s’est mise à croître à un rythme constant, si bien que, vers 1916, la ville comptait plus de 1 500 habitants. Pendant ses années les plus fastes, la compagnie minière a construit des maisons, un centre de loisirs, une patinoire de curling et une salle de quilles. Barbecues communautaires, défilés de la fête du Travail : la vie sociale était riche pour les familles et les enfants de Tilt Cove. L’hiver, le lac gelait entièrement et la compagnie minière y aménageait une patinoire au centre de laquelle était installé un arbre immense.
La mine a fermé ses portes en 1920, ce qui a fait décliner le nombre d’habitants, qui n’étaient plus qu’une centaine. Shirley Severance est née en 1941 et elle a grandi à Tilt Cove. Elle a vu la ville prendre de l’expansion quand la mine a repris ses activités, en 1957, et elle l’a vu décliner de nouveau quand la mine a fermé pour de bon, en 1967. Quand elle est partie, elle a dit : « Nous étions réellement bénis, tous autant que nous étions, d’avoir pu vivre à Tilt Cove. Tout le monde faisait partie d’une grande famille. »
En 2023, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a approuvé le versement d’une aide financière à la réinstallation après que les quatre derniers habitants de l’endroit ont tous voté pour quitter le village. Il n’y a pas eu besoin de recomptage judiciaire à Tilt Cove.
Je ne voudrais surtout pas décevoir la sénatrice McBean, car je sais à quel point elle affectionne les Terre-Neuviens et les Labradoriens, mais j’ai le regret de lui annoncer, et à vous tous par la même occasion, que les quatre habitants de Tilt Cove ne déménageront pas à Toronto. Ils vont plutôt élire domicile dans un autre village du nom de King’s Cove dès que leurs nouvelles demeures seront achevées.
Chers collègues, cette histoire raconte la destinée d’une autre ville de Terre-Neuve au passé aussi riche que coloré, mais qui bientôt s’éteindra à jamais. À bien des égards, je comprends ces gens d’avoir décidé de partir et de se réinstaller ailleurs, mais je trouve quand même dommage de voir une autre partie de la mosaïque terre-neuvienne devenir un souvenir évanescent.
Je vous remercie.
[Français]
La Coupe Memorial
L’honorable Éric Forest : Alors que s’achève une Coupe Memorial riche en émotions et en hockey de haut niveau, il est important de prendre un instant pour exprimer toute notre reconnaissance envers celles et ceux qui ont rendu cette édition de 2025 à Rimouski si exceptionnelle.
L’organisation d’un événement de cette envergure demande un travail colossal. Aux bénévoles qui ont donné de leur temps, de leur énergie et de leur cœur, merci. Que ce soit à l’accueil, dans les stationnements, dans les loges, en soutien logistique ou auprès des équipes, vous avez été les piliers silencieux, mais essentiels du succès de ces 10 jours mémorables.
Un immense merci également aux organisateurs qui ont travaillé pendant des mois pour orchestrer chaque détail avec rigueur et professionnalisme. Grâce à votre vision, votre engagement et votre amour du hockey, Rimouski a rayonné à l’échelle nationale.
Le succès de la présente édition est particulièrement méritoire du fait qu’il est de plus en plus difficile d’organiser ce genre d’événement en région, en raison des redevances à verser et des droits de télévision qui ne sont pas contrôlés par l’organisation locale.
Aux commanditaires, partenaires, membres du personnel, équipes techniques, services de sécurité et d’entretien, médias locaux et nationaux, merci de votre contribution inestimable.
Il faut également souligner le rôle central de Jacques Tanguay, président du comité organisateur, Alexandre Tanguay, président de l’Océanic, et Sébastien Noël, directeur général de la Coupe Memorial de 2025, qui ont grandement contribué au succès de l’événement.
Enfin, merci aux amateurs de hockey junior, qui ont rempli l’aréna au maximum de sa capacité, de leur enthousiasme et de leur soutien. Votre présence a donné une ambiance unique et électrisante à chaque match.
La Coupe Memorial de 2025 restera gravée dans nos mémoires comme une grande célébration du hockey junior, mais aussi comme un témoignage de ce que peut accomplir une communauté unie et dévouée. Bien sûr, on aurait aimé une victoire de l’Océanic, particulièrement pour les adeptes de l’Océanic, mais on peut quand même être fier de leur performance et de leur détermination.
En terminant, il faut aussi féliciter les Knights de London, qui ont remporté cette 105e Coupe Memorial.
[Traduction]
AFFAIRES COURANTES
Le Sénat
Préavis de motion concernant les délibérations du Sénat et des comités pour le reste de la présente session
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, pour le reste de la présente session :
1.dès l’adoption par le Sénat d’un rapport du Comité de sélection concernant la composition des comités ou l’adoption du présent ordre, selon la dernière éventualité, lorsque le Sénat siège un mercredi, la séance soit levée à 16 heures comme s’il s’agissait de l’heure fixée pour la clôture de la séance prévue au Règlement, à moins que le Sénat ait suspendu ses travaux pour la tenue d’un vote reporté ou que la séance soit levée plus tôt, à condition que si un vote est reporté à un mercredi, ou à plus tard ce même jour un mercredi, il ait lieu à 16 h 15, la Présidente interrompant les délibérations immédiatement avant la levée de la séance, mais au plus tard à 16 heures, pour suspendre la séance jusqu’à 16 h 15, heure de la tenue du vote reporté, la sonnerie se faisant entendre à compter de 16 heures;
2.lorsque le Sénat siège un jeudi, il siège à 13 h 30;
3.le Sénat invite tout ministre de la Couronne qui n’est pas membre du Sénat à participer aux travaux du Sénat, au moins une fois toutes les deux semaines où le Sénat siège, pendant la période des questions, à une heure et une date désignées par le représentant du gouvernement au Sénat, après consultation avec le leader de l’opposition et les leaders et facilitateurs de tous les partis reconnus et groupes parlementaires reconnus, en répondant aux questions ayant trait à ses responsabilités ministérielles, selon les dispositions du Règlement et les ordres alors en vigueur, sous réserve des dispositions suivantes :
a)ni les sénateurs qui posent des questions, ni le ministre lorsqu’il répond, ne doivent se lever;
b)le représentant du gouvernement au Sénat, en consultation avec le leader de l’opposition et les leaders et facilitateurs de tous les partis reconnus et groupes parlementaires reconnus, désigne le ministre qui comparaîtra lors d’une telle période des questions;
c)au début de l’ordre du jour, le représentant du gouvernement au Sénat ou la coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat informe le Sénat, dès que possible et à l’avance mais au plus tard à la séance qui précède le jour où le ministre doit comparaître, de l’heure et de la date de la période des questions avec un ministre, ainsi que du nom du ministre désigné;
d)si un vote par appel nominal coïncide avec le temps pour la période des questions avec un ministre conformément aux dispositions du présent ordre, ce vote soit reporté et ait lieu immédiatement après la période des questions;
e)si la sonnerie pour un vote retentit au moment de la période des questions avec un ministre conformément aux dispositions du présent ordre, elle cesse de se faire entendre pendant la période des questions et retentisse de nouveau à la fin de la période des questions pour le temps restant;
f)les sénateurs disposent au plus d’une minute pour poser toute question principale, les ministres disposent au plus d’une minute et trente secondes pour répondre à toute question principale, les sénateurs disposent au plus de 45 secondes pour poser une question supplémentaire et les ministres disposent au plus de 45 secondes pour répondre à une question supplémentaire;
g)la période des questions dure au plus 64 minutes;
4.lors de toute autre période des questions, les questions principales et les réponses soient limitées à une minute chacune, suivies d’un maximum d’une question supplémentaire par question principale, ces questions et réponses supplémentaires étant limitées à 30 secondes chacune;
5.le Comité de sélection soit un comité permanent;
6.le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants soit composé de 12 sénateurs, en plus des membres d’office, à condition que si des membres ont été nommés au comité avant l’adoption du présent ordre, les membres additionnels soient recommandés par le Comité de sélection;
7.sans que cela ait une incidence sur toute autorité séparément accordée à un comité de se réunir pendant que le Sénat siège :
a)les comités devant se réunir un mardi soient autorisés à le faire à partir de 18 h 30, même si le Sénat siège à ce moment-là, à condition que le Sénat ait terminé les affaires du gouvernement pour la séance;
b)les autres comités qui se réunissent pour des affaires du gouvernement soient autorisés à se réunir le mardi à partir de 18 h 30 ou à la fin des affaires du gouvernement, selon la dernière éventualité, sous réserve de l’approbation par la majorité des whips et des agents de liaison, et sous réserve de la capacité et de la disponibilité des ressources nécessaires;
c)il soit entendu que le pouvoir accordé aux leaders et aux facilitateurs, ou leurs délégués, conformément à l’article 3 du chapitre 5:03 du Règlement administratif du Sénat, ne soit pas, sous réserve de la capacité et de la disponibilité des services, affecté par les dispositions du présent ordre;
8.les comités mixtes soient autorisés, en ce qui concerne le Sénat, à tenir des réunions hybrides ou entièrement par vidéoconférence, les dispositions suivantes ayant effet lors de telles réunions :
a)tous les membres qui participent font partie du quorum;
b)ces réunions sont considérées comme ayant lieu dans l’enceinte parlementaire, peu importe où se trouvent les participants, sous réserve du sous-point d)(i);
c)le comité est tenu d’aborder les réunions à huis clos avec la plus grande prudence et toutes les précautions nécessaires, en tenant compte des risques pour la confidentialité des délibérations à huis clos inhérents à ces technologies;
d)sous réserve des variations qui pourraient s’imposer à la lumière des circonstances, pour participer à une réunion de comité par vidéoconférence, les sénateurs doivent :
(i)participer à partir d’un bureau désigné ou d’une résidence désignée au Canada;
(ii)utiliser un appareil et un casque d’écoute avec microphone intégré fournis par le Sénat et autorisés pour les vidéoconférences avec interprétation;
(iii)être les seules personnes visibles pendant la vidéoconférence;
(iv)avoir la fonction vidéo activée et être visibles à l’écran en tout temps, à moins que la réunion soit suspendue;
(v)quitter la vidéoconférence s’ils quittent leur siège, à moins que la réunion soit suspendue;
9.tout comité sénatorial soit autorisé à nommer des sénateurs qui ne sont pas membres du comité à ses sous-comités, à l’exception de son Sous-comité du programme et de la procédure, sous réserve qu’il soit entendu qu’aucun membre du Comité permanent de l’audit et de la surveillance ne peut être nommé à un sous-comité du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration en vertu du présent ordre, et inversement;
10.le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé à nommer la coordonnatrice législative du gouvernement à titre de membre sans droit de vote de son Sous-comité de programme et de la procédure, s’il établit un tel sous-comité, sans que, il soit entendu, la limite établie au point 9 s’y applique;
Que le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement :
1.soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, l’inclusion de dispositions concernant la période des questions avec un ministre dans le Règlement du Sénat, avec des recommandations quant aux amendements;
2.soumette son rapport final au plus tard le 18 décembre 2025;
Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes relativement au point 8 du premier paragraphe du présent ordre, afin de l’en informer.
(1430)
La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada
Projet de loi modificatif—Première lecture
L’honorable Mary Jane McCallum dépose le projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion de la sénatrice McCallum, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
La Loi sur le directeur des poursuites pénales
Projet de loi modificatif—Première lecture
L’honorable Mary Jane McCallum dépose le projet de loi S-224, Loi modifiant la Loi sur le directeur des poursuites pénales.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion de la sénatrice McCallum, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
(1440)
Projet de loi sur la Journée nationale de Thanadelthur
Première lecture
L’honorable Mary Jane McCallum dépose le projet de loi S-225, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion de la sénatrice McCallum, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
La Gore Mutual Insurance Company
Projet de loi d’intérêt privé—Première lecture
L’honorable Tony Loffreda dépose le projet de loi S-1001, Loi autorisant la Gore Mutual Insurance Company à demander sa prorogation en tant que personne morale régie par les lois de la province de Québec.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Loffreda, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
Peuples autochtones
Affaires juridiques et constitutionnelles
Préavis de motion tendant à autoriser les comités à étudier la nécessité pour le gouvernement de consulter et d’accommoder les détenteurs de droits des Premières Nations, des Inuit et des Métis
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soient autorisés à examiner, afin d’en faire rapport :
a)la nécessité pour le gouvernement fédéral de s’acquitter de son obligation fiduciaire de consulter et d’accommoder les détenteurs de droits des Premières Nations, des Inuit et des Métis en ce qui concerne la législation qui a une incidence sur leurs droits issus de traités, leurs droits inhérents et leurs terres traditionnelles;
b)la nécessité pour le gouvernement fédéral de s’acquitter de son obligation fiduciaire de consulter et d’accommoder à toutes les étapes du processus législatif, de la conceptualisation à la rédaction, à la mise en œuvre et à l’examen;
Que les comités soumettent leurs rapports finaux au plus tard le 31 décembre 2025.
Peuples autochtones
Préavis de motion tendant à autoriser le comité à étudier la façon dont le retrait forcé des enfants des Premières Nations, des Inuit et des Métis de leur famille et de leur culture constitue un crime contre l’humanité et un génocide
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la façon dont le retrait forcé historique et continu des enfants des Premières Nations, des Inuit et des Métis de leur famille et de leur culture, y compris, mais sans s’y limiter :
a)les enlèvements dans le cadre du système des pensionnats indiens;
b)les externats indiens;
c)le « Sixties Scoop »;
d)l’épidémie d’enfants autochtones pris en charge;
e)les effets intergénérationnels de cette appréhension d’enfants, tels que les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et l’incarcération excessive des peuples autochtones;
constitue un crime contre l’humanité et un génocide, au sens de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, et des articles 6 et 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et en conformité à l’article II de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide;
Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2025.
PÉRIODE DES QUESTIONS
La justice
La Loi sur la preuve au Canada
L’honorable Fabian Manning : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Monsieur le leader, des défenseurs des victimes et des experts juridiques condamnent le gouvernement fédéral parce qu’il invoque nos lois sur la sécurité nationale pour dissimuler des preuves essentielles dans une affaire d’agression violente impliquant un soldat de la Deuxième Force opérationnelle interarmées. Le caporal-chef Michael Spence a échappé à des accusations graves après que le ministère de la Justice du Canada, à la demande de l’administration militaire, a invoqué l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada — une disposition normalement réservée à la protection des renseignements sensibles dans les affaires liées au terrorisme — dans le but d’empêcher la victime de parler des fonctions militaires de son agresseur.
Monsieur le leader, croyez-vous qu’il soit approprié que les Forces armées canadiennes invoquent nos lois sur la sécurité nationale pour protéger les auteurs, quel que soit leur statut, d’actes violents contre un partenaire intime dans le but de réduire au silence les victimes devant les tribunaux canadiens?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénateur.
Je crois comprendre que le gouvernement considère toujours que la violence entre partenaires intimes est un fléau, voire une épidémie, qui nécessite des mesures urgentes. Il est fermement déterminé à protéger les victimes de violence sexuelle et de violence entre partenaires intimes en présentant un projet de loi qui fera des meurtres motivés par la haine, dont les féminicides, des meurtres au premier degré. Je crois comprendre que le gouvernement est résolu à présenter cette mesure dès que possible.
En ce qui concerne l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, je ne suis pas en mesure de commenter des cas particuliers, et il ne serait pas approprié de le faire. Si je comprends bien, il revient au procureur général du Canada d’invoquer cet article de la Loi sur la preuve au Canada pour protéger des renseignements qui, s’ils étaient divulgués, pourraient nuire aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Je ne suis pas en mesure de faire d’autres commentaires à ce sujet.
Le sénateur Manning : Merci.
Selon la majore à la retraite Donna Van Leusden Riguidel, qui travaille avec des conjoints de militaires battus et des victimes de traumatismes sexuels, le gouvernement laisse entendre qu’il s’est servi des dispositions en matière de sécurité nationale pour protéger la réputation de la Deuxième Force opérationnelle interarmées. La majore à la retraite a dit ceci :
Quelqu’un qui est incapable de se contrôler, qui bat sa conjointe et qui lui cause des lésions corporelles graves ne devrait pas être considéré comme un bon soldat et devrait être renvoyé s’il n’arrive pas à maîtriser sa colère.
Monsieur le leader, quel message cela envoie-t-il aux femmes de tout le Canada, en particulier les femmes des familles de militaires, qui se demandent si le système de justice pourra les soutenir au moment où elles seront le plus vulnérables ou s’il consacrera plutôt ses efforts à protéger les institutions que servent leurs agresseurs?
Le sénateur Gold : Je comprends l’importance de ce problème et la souffrance qu’il cause, notamment aux victimes et aux personnes qui se préoccupent des victimes, à juste titre. Cependant, encore une fois, l’invocation de l’article 38 par le procureur général du Canada concerne un cas précis, et je crains de ne pas être en mesure d’en dire davantage. Cela dit, je comprends la préoccupation.
[Français]
La sécurité publique
Le Service canadien du renseignement de sécurité
L’honorable Claude Carignan : Monsieur le leader, dans un rapport accablant de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR), une opération en cours du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a été arrêtée à la suite d’un ordre politique directement venu du Cabinet du premier ministre, ce qui contrevenait à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, puisque cette décision n’a pas été prise par le directeur du service ni par le ministre, comme la loi l’exige.
(1450)
Résultat : nos agents ont été mis en danger, et la réputation du Canada auprès de nos alliés a été gravement compromise.
Monsieur le leader, quelle justification le gouvernement libéral peut-il bien invoquer pour avoir enfreint la loi, saboté une opération de renseignement et mis en danger ceux qui risquent leur vie pour protéger notre pays?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. L’OSSNR a publié un rapport qui a mis en lumière cette situation et le gouvernement est reconnaissant de ce rapport.
L’office a pris un engagement en vue d’enquêter et d’améliorer les processus ayant trait à la sécurité nationale et au renseignement afin de mieux servir les Canadiens et de les protéger.
Le gouvernement a l’intention de prendre la question au sérieux; les recommandations de l’office sont à l’étude et le gouvernement répondra à ces recommandations.
Le sénateur Carignan : Monsieur le leader, dans un cas, le gouvernement outrepasse la loi en arrêtant illégalement une opération du SCRS à l’étranger; dans un autre, il détourne une disposition censée protéger l’information classifiée pour faire taire une victime de violence conjugale, l’empêchant ainsi de parler du rôle militaire de son agresseur.
Sénateur Gold, comment les Canadiens peuvent-ils faire confiance à un gouvernement qui compromet à la fois la sécurité de ses agents du renseignement et le droit des victimes à se faire entendre?
Le sénateur Gold : Comme je l’ai mentionné plus tôt en ce qui concerne le deuxième aspect de votre question, je ne peux pas me prononcer sur les raisons pour lesquelles le procureur général a invoqué l’article 38.
En ce qui concerne les recommandations et ce qui s’est passé, qui est le sujet même des recommandations de l’OSSNR — qui est l’agence responsable de la surveillance de ce champ d’activité —, le gouvernement donnera sa réponse à ces recommandations sous peu.
[Traduction]
Le patrimoine canadien
La préservation d’objets historiques
L’honorable Donna Dasko : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold.
Malheureusement, la plus ancienne société du Canada, la Compagnie de la Baie d’Hudson, fait l’objet d’une procédure de mise en liquidation et de protection des créanciers alors qu’elle met fin à ses activités. La compagnie possède une collection capitale de documents et d’objets historiques qu’elle s’apprête à vendre aux enchères dans le cadre de ces procédures. Parmi les objets mis aux enchères figure un document fondamental : l’exemplaire original de la charte royale accordée par le précédent roi Charles, Charles II, en 1670, qui conférait à la compagnie de vastes pouvoirs et droits commerciaux sur une grande partie de ce qui allait devenir le Canada. Cette charte est considérée comme l’un des documents les plus importants de l’histoire du Canada. Parmi d’autres objets importants, on trouve des broderies perlées, des outils, des sculptures et des objets cérémoniels autochtones, des souvenirs de la traite des fourrures, des documents sur support papier, des œuvres d’art et bien d’autres choses encore — peut-être quelque 4 400 objets.
En avril, un tribunal de l’Ontario a autorisé la compagnie à poursuivre le processus de vente, mais elle doit revenir devant le tribunal à une date ultérieure pour préciser exactement quels objets elle souhaite vendre et comment se déroulera le processus. Les historiens et les groupes autochtones craignent que ces objets soient éventuellement détenus par des intérêts privés, ce qui les soustrairait à l’accès et à la surveillance du public.
Le gouvernement du Canada prend-il des mesures particulières pour faire en sorte que ces éléments inestimables du patrimoine canadien et autochtone soient préservés et demeurent accessibles? Quelles mesures ont été prises et quels ont été les résultats? Merci.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement est conscient de cette situation et il la suit de près. Je crois savoir — et cela a été communiqué au tribunal auquel vous avez fait référence — qu’à l’heure actuelle, le gouvernement, prudemment, ne s’oppose pas à ce processus parce qu’il n’a pas encore eu la possibilité de cataloguer les objets pour savoir exactement ce qui pourrait être mis en vente. Comme il s’agit d’une affaire actuellement devant les tribunaux, je ne suis pas en mesure de faire d’autres commentaires pour l’instant.
La sénatrice Dasko : L’Assemblée des chefs du Manitoba a demandé l’arrêt de toute vente aux enchères, car elle estime que la collection comprend des objets ayant une profonde signification culturelle, spirituelle et historique pour les Premières Nations. À votre connaissance, quelles sont les mesures prises ou mises en œuvre pour garantir que les communautés autochtones participent activement au processus décisionnel concernant l’avenir des objets du patrimoine culturel mis aux enchères par la Compagnie de la Baie d’Hudson? Merci.
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question complémentaire. Encore une fois, je ne suis pas en mesure de commenter. Je n’ai pas de réponse à votre question, mais elle est importante, et je ne manquerai pas de l’aborder avec la ministre à la première occasion.
La justice
La Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires
L’honorable Bernadette Clement : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold, le représentant du gouvernement au Sénat.
Je commencerai par souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres du Groupe canado-africain du Sénat, qui est présidé par la sénatrice Moodie. Je souhaite donc la bienvenue aux sénateurs Senior, Youance et Ince. Je suis très heureuse que le groupe compte maintenant 10 membres, sans parler du nombre très encourageant de députés noirs.
Malgré cette représentation croissante au Parlement, je m’inquiète du peu d’attention accordée aux priorités des Canadiens noirs par le nouveau gouvernement. La plateforme libérale en fait mention à deux reprises, mais la lettre de mandat est complètement silencieuse sur le sujet. Je tiens à rappeler au gouvernement la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires. Selon le Groupe canado-africain du Sénat, cette stratégie est une priorité. Le précédent ministre de la Justice a été chargé d’élaborer la stratégie à la fin de 2022. En 2023, de vastes consultations ont eu lieu, et la feuille de route a été publiée en 2024. En février dernier, un plan de mise en œuvre a été publié. On y trouve le cadre pour un engagement de 10 ans visant à réduire la surreprésentation des personnes noires dans le système de justice pénale.
Sénateur Gold, quel est le degré d’engagement du gouvernement envers la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement est très conscient de la discrimination systémique et des obstacles que de nombreuses institutions de notre pays imposent aux communautés canadiennes noires. Je tiens à vous assurer, ainsi que le Sénat, que le gouvernement est déterminé à poursuivre la mise en œuvre de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires et qu’il pourra en dire plus à ce sujet très bientôt.
La sénatrice Clement : À l’heure actuelle, que pouvons-nous dire aux diverses communautés noires du pays qui craignent de perdre l’élan des dernières années? Qu’est-ce que le gouvernement pourrait leur dire maintenant pour les rassurer?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Ce que je peux dire, c’est que le travail que le gouvernement a commencé à faire — et est résolu à faire — est mené en consultation avec des membres de la communauté d’un bout à l’autre du pays, avec les communautés, leurs dirigeants et des experts du domaine. Ce travail vise non seulement à bâtir un système judiciaire plus équitable et plus efficace, mais aussi à remédier à des problèmes systémiques encore plus vastes. Ce travail se poursuivra, et nous espérons qu’il entraînera des changements transformationnels.
Les transports
Les droits de péage
L’honorable Percy E. Downe : Sénateur Gold, le député libéral Robert Morrissey a écrit au premier ministre Carney pour lui demander que la réduction promise des péages sur le pont de la Confédération, qui relie l’Île-du-Prince-Édouard au Nouveau-Brunswick, et sur le traversier de Wood Islands, entre l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse, entre en vigueur à temps pour la fête du Canada, le 1er juillet. La réduction des péages d’ici le 1er juillet permettrait aux habitants de l’Île-du-Prince-Édouard, aux visiteurs estivaux, aux entreprises et aux collectivités de réaliser des économies et de bénéficier d’une réduction des obstacles au commerce.
Étant donné que le pont de la Confédération appartient au gouvernement du Canada et que son passage coûte plus de 50 dollars, et que le pont Champlain à Montréal appartient lui aussi au gouvernement du Canada, mais qu’il est exempt de péage, pouvez-vous confirmer que ces péages seront réduits d’ici le 1er juillet afin de rétablir l’équité pour les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard?
(1500)
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et de votre souci constant de défendre les intérêts des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard et des personnes qui y voyagent. Je ne sais rien sur ce que compte faire le gouvernement d’ici la fête du Canada, ni sur le plan législatif ni sur tout autre plan.
Je vais poser la question à la ministre des Transports lorsque j’en aurai l’occasion. J’espère que cette question sera réglée le plus tôt possible.
Le sénateur Downe : Sénateur Gold, vous serez dans doute content d’apprendre que ce sera ma dernière question à vie sur les droits de péage sur le pont de la Confédération. Les nouveaux sénateurs ne savent peut-être pas qu’il y en a déjà eu beaucoup au fil des ans.
Sénateur Gold, l’engagement qu’a pris le premier ministre de réduire les droits de péage ne se limitait pas au pont de la Confédération et au traversier de Wood Islands. Il a promis de réduire d’« au moins la moitié » le tarif des services de traversier reliant Souris, à l’Île-du-Prince-Édouard, aux Îles-de-la-Madeleine, au Québec, ainsi que le service de Marine Atlantique reliant la Nouvelle-Écosse à Terre-Neuve-et-Labrador.
Pourriez-vous demander si ces tarifs seront aussi réduits d’ici la fête du Canada? Pourriez-vous enfin remercier le premier ministre Carney, au nom des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard, d’avoir enfin décidé d’agir pour mettre fin au traitement injuste qui est réservé aux insulaires depuis une dizaine d’années? Je vous remercie.
Le sénateur Gold : Je ne manquerai pas de m’en informer aussi. Je vous remercie.
La sécurité publique
Les crimes haineux au Canada
L’honorable Kristopher Wells : Honorables sénateurs, la haine continue de se répandre partout dans le monde, mais aussi ici, au Canada. Encore dernièrement, la communauté juive a été la cible d’attaques odieuses qui ont coûté la vie à des employés d’ambassade innocents. Ces atrocités n’ont qu’un but : instiller la peur et la terreur dans tous les groupes minoritaires. Il faut agir. Le Canada devrait donner l’exemple en protégeant les plus vulnérables d’entre nous.
Pendant la campagne électorale qui s’est déroulée dernièrement, le gouvernement a promis de légiférer afin de protéger les infrastructures sociales essentielles du pays, c’est-à-dire les écoles, les hôpitaux, les bibliothèques et les immeubles gouvernementaux, contre les manifestations haineuses. Nous avons besoin d’une loi comme celle-là pour protéger les groupes vulnérables contre la peur, l’intimidation et la violence.
Monsieur le représentant du gouvernement au Sénat, quand le gouvernement présentera-t-il cette mesure législative tant attendue? Bientôt, j’espère.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, et je vous remercie aussi d’avoir souligné les effets de la hausse des crimes haineux contre ma communauté et contre bien d’autres groupes du pays. J’estime inacceptable que des gens ne puissent pas pratiquer leur religion, ou même s’exprimer, vivre ou travailler sans craindre pour leur sécurité. Le gouvernement s’est engagé à ériger en infraction criminelle le fait d’empêcher intentionnellement et délibérément l’accès à un lieu de culte, quel qu’il soit, à une école ou à un centre communautaire et celui d’intimider ou de menacer intentionnellement et délibérément quiconque se rend dans l’un de ces endroits pour assister à un service religieux.
Le premier ministre a été sans équivoque : même si c’est malheureusement beaucoup trop fréquent, il est inacceptable que, dans notre pays, des personnes se sentent menacées quand elles se réunissent avec les gens de leur communauté. Le gouvernement a l’intention de défendre vigoureusement les Canadiens de bonne volonté et de bonne foi contre la haine.
Cela étant dit, je ne peux pas m’avancer sur le moment où ce projet de loi verra le jour. À ce moment-ci de l’année, le gouvernement a annoncé ses priorités. Beaucoup de travail nous attend, mais dès que le gouvernement fera publiquement connaître ses intentions, j’en ferai part au Sénat — ou alors la personne qui me succédera le fera à ma place.
Le sénateur K. Wells : Au cours de la dernière législature, le gouvernement a proposé d’importants changements au Code criminel du Canada pour imposer des peines plus sévères en cas de crime haineux et créer une nouvelle infraction visant à mieux protéger les Canadiens contre la haine. Le projet de loi C-63 n’a pas fait l’objet d’un vote à l’autre endroit. Dans les derniers jours de la dernière législature, le gouvernement a indiqué qu’il donnerait la priorité à d’autres aspects du projet de loi.
Honorables sénateurs, je crois que le Canada doit sanctionner plus sévèrement la haine et envoyer un message clair et sans équivoque : la haine et l’extrémisme ne seront jamais tolérés dans ce pays, peu importe qui en est la cible.
Ma question au représentant du gouvernement est la suivante : le gouvernement reste-t-il déterminé à présenter un projet de loi qui modifiera le Code criminel, comme le projet de loi précédent — le projet de loi C-63 — le proposait, et le premier ministre s’engagera-t-il à travailler avec les sénateurs intéressés et les intervenants communautaires pour apporter les changements nécessaires afin que cette mesure législative importante soit adoptée?
Le sénateur Gold : Je vous remercie pour votre question et pour l’appui que vous apportez à une mesure législative solide visant à lutter contre la haine.
Je ne suis tout simplement pas en mesure d’avancer des hypothèses concernant l’échéancier ou, comme vous le comprenez, le contenu d’un projet de loi tant qu’il n’a pas été déposé publiquement.
La santé
La réglementation des liquides à vapoter
L’honorable Judith G. Seidman : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, la crise du vapotage chez les jeunes au Canada continue de s’aggraver. En fait, l’ampleur de la dépendance à la nicotine chez les jeunes Canadiens devient encore plus préoccupante. Dans son dernier rapport, Santé Canada constate que près de la moitié des adolescents âgés de 15 à 19 ans ont déjà essayé des produits de vapotage, et que 17 % d’entre eux en consomment quotidiennement. Ces taux sont parmi les plus élevés au monde chez les adolescents.
Les experts sonnent l’alarme, car les jeunes vapoteurs sont plus dépendants que les fumeurs de cigarettes et ils courent de grands risques pour leur santé. Le gouvernement n’a toujours pas finalisé le projet de règlement publié en 2021 visant à restreindre les produits de vapotage aromatisés, qui sont les plus populaires auprès des adolescents. Le milieu de la santé demande que des mesures urgentes soient prises dans les 100 prochains jours.
Sénateur Gold, cela fait plus de quatre ans. Quand le gouvernement va-t-il enfin s’engager à agir pour finaliser le règlement afin d’interdire les produits de vapotage aromatisés dans tout le pays?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Avant de fournir la réponse à laquelle vous pourriez vous attendre, à savoir que je ne connais pas la réponse et que je ne suis pas en mesure de fournir un échéancier à cet égard, j’aimerais, honorables collègues, profiter de l’occasion pour attirer l’attention de mes honorables collègues — en particulier ceux qui n’étaient pas ici lorsque nous avons présenté ou amendé un projet de loi sur la légalisation — sur le travail important que la sénatrice Seidman a accompli dans le cadre de l’étude de ce projet de loi, compte tenu de l’appui enthousiaste à l’égard de toute mesure pouvant aider les gens à cesser de fumer la cigarette. Le vapotage semblait être — il l’est peut-être toujours — une solution prometteuse pour remplacer la cigarette. En tant qu’ancien fumeur de cigarettes, je peux dire en connaissance de cause à quel point il est difficile d’arrêter de fumer.
Cela dit, la sénatrice Seidman a souligné dès le début certains des risques et des facteurs inconnus qui donnent à réfléchir, si je peux m’exprimer ainsi. Je tiens donc à vous féliciter, sénatrice Seidman, de l’attention soutenue que vous portez à ce dossier et de votre détermination non seulement à nous informer, ainsi que le gouvernement, des éléments de preuve qui s’accumulent au sujet du vapotage, mais aussi à demander des comptes au gouvernement.
Je soulèverai également cette question auprès de la ministre, et je tiens à vous féliciter de votre travail dans ce dossier.
La sénatrice Seidman : Merci, sénateur Gold, pour cette référence inattendue au travail que j’ai accompli dans ce dossier au fil des ans. Je vous en suis très reconnaissante.
J’allais dire, et vous l’avez déjà mentionné, que cela fait six ans que les consultations ont commencé sur le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur le tabac, la Loi sur la santé des non-fumeurs et d’autres lois en conséquence, mesure législative qui, nous le savons, a vu le jour ici même, au Sénat. Au fil des ans, on a accumulé des preuves scientifiques de la nécessité d’une mesure législative axée sur la réduction des méfaits.
Quand le gouvernement reconnaîtra-t-il qu’il est temps que les choses bougent et passera-t-il enfin à l’action?
Le sénateur Gold : Encore une fois, je ne suis pas en mesure de fournir un échéancier précis, du moins en ce qui concerne le règlement que vous avez mentionné. Comme vous et moi le savons, étant tous deux originaires du Québec, les provinces ont un rôle à jouer, et certaines provinces, comme la nôtre, ont pris des mesures depuis un certain temps déjà pour limiter ou, dans le cas du Québec, pour interdire les produits aromatisés. Or, d’après ce que j’ai cru comprendre, ce n’est pas le cas partout au pays. Je vais donc soulever la question auprès de la ministre.
La sécurité publique
La cybersécurité
L’honorable Michael L. MacDonald : Sénateur Gold, en mars dernier, plus de 280 000 clients de Nova Scotia Power ont été victimes d’un vol de renseignements personnels lors d’une cyberattaque majeure. Parmi les données volées figuraient jusqu’à 140 000 numéros d’assurance sociale, dont certains circulent maintenant sur le Web clandestin. Cet incident illustre à quel point nos infrastructures essentielles, tant fédérales que provinciales, sont vulnérables.
Le projet de loi C-26, qui aurait pu établir des normes fédérales en matière de cybersécurité, a échoué en raison d’erreurs de rédaction commises par le gouvernement lui-même et est mort au Feuilleton lors de la prorogation.
(1510)
Sénateur Gold, faudra-t-il une autre catastrophe numérique pour que le gouvernement agisse, ou pouvons-nous enfin réunir les provinces et le gouvernement fédéral afin de faire adopter un projet de loi qui protégera nos infrastructures essentielles?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci d’avoir souligné à quel point il est important que nous fassions le nécessaire — sur le plan législatif ou autre — pour protéger les infrastructures essentielles du pays. Selon ce que j’ai cru comprendre, le projet de loi dont vous parlez devrait être mené à terme d’ici la fin de la présente législature.
Il est important, non seulement pour les institutions gouvernementales, mais aussi pour les entreprises, de tirer tout le parti qu’elles peuvent des institutions de premier plan du pays — je pense par exemple au Centre de la sécurité des télécommunications Canada —, et j’invite toutes celles qui sont à l’écoute d’explorer cette avenue, car comme vous le dites si bien, sénateur, le danger est immense. Le gouvernement a l’intention de légiférer en ce sens.
Le sénateur MacDonald : Je vous rappelle, chers collègues, que le Canada est arrivé au troisième rang des pays les plus ciblés du monde pour les cyberattaques en 2024. Seulement pendant le premier trimestre de 2025, on dénombre près de 6 milliards de tentatives d’intrusion.
Le parrain du projet de loi au Sénat nous a prévenus que « sans ce projet de loi, nous n’aurons pas l’autorité législative nécessaire pour défendre ne serait-ce que minimalement nos infrastructures essentielles ».
Sénateur Gold, pouvez-vous donner l’assurance au Sénat que le nouveau projet de loi sera rédigé comme il faut cette fois-ci? Les Néo-Écossais aimeraient bien le savoir.
Le sénateur Gold : Je peux tout à fait assurer au Sénat que tous les projets de loi seront rédigés avec minutie et un très grand souci du détail.
[Français]
Les finances
Les projets d’intérêt national
L’honorable Martine Hébert : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement. Sénateur Gold, comme on le sait tous, l’économie canadienne traverse en ce moment une importante zone de turbulence. D’ailleurs, le discours du Trône présenté la semaine dernière a énoncé différents engagements stratégiques pour l’avenir du pays.
On y atteste entre autres de la volonté du gouvernement de raffermir la résilience de l’économie canadienne et d’accélérer les grands projets d’intérêt national, y compris les projets en matière d’énergie verte et conventionnelle. Au cours d’une rencontre tenue hier dans cette foulée entre le premier ministre du Canada et les premiers ministres des provinces, le premier ministre a demandé à celles-ci de déposer une liste de projets structurants répondant à différents critères, comme renforcer l’autonomie de l’économie canadienne, présenter des avantages indéniables pour le Canada ainsi que constituer une priorité pour les communautés autochtones.
Je pense que tout cela est très bien, mais un peu comme le diable se cache dans les détails, les processus d’approbation et de mise en œuvre de tels projets d’envergure sont souvent l’un des principaux obstacles à leur réalisation. En plus de ce qui a déjà été annoncé en ce qui a trait à l’accélération des études préalables de ces projets, pouvez-vous nous dire si le gouvernement a aussi l’intention d’ajuster ces processus, y compris les processus d’appel d’offres, afin que les intentions exprimées se transforment en actions rapides et efficaces?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question et je vous remercie également d’avoir souligné l’importance de répondre aux défis auxquels nous faisons face, ainsi que d’avoir évoqué la question des rencontres entre le premier ministre du Canada et les premiers ministres provinciaux pour discuter des plans ambitieux de mise en œuvre de ces projets d’intérêt national.
Pour ce qui est des questions de processus, vous avez tout à fait raison de dire que la mise en œuvre est souvent primordiale pour déterminer si un projet a des chances de réussite.
Le gouvernement présentera sous peu un projet de loi qui expliquera les marches à suivre s’il est convenu qu’un projet sert l’intérêt national. Au moment du dépôt du projet de loi et quand les détails seront rendus publics, nous aurons l’occasion de l’étudier plus en profondeur.
La sénatrice Hébert : J’ai une question complémentaire, sénateur Gold : est-ce que le gouvernement a l’intention de dévoiler les listes de projets qui ont été déposés par les provinces ou a-t-il convenu avec les provinces de rendre publics seulement les projets retenus?
Le sénateur Gold : Je n’ai pas la réponse à votre question. Le premier ministre a été clair hier : ce sera une liste évolutive. Il a demandé dans un premier temps qu’une liste exhaustive lui soit remise — je ne dirais pas que c’est une liste d’épicerie pour ne pas minimiser l’importance des projets, mais il y en a beaucoup. Au fur et à mesure que ces projets seront étudiés ou quand des promoteurs se présenteront avec des projets plus concrets, la liste va changer. Le premier ministre a dit que d’autres projets seront peut-être proposés lorsque les critères seront mieux connus et raffinés. Il faut attendre que le travail dans les coulisses continue d’avancer avant que je puisse répondre à votre question. Merci.
ORDRE DU JOUR
Projet de loi sur la Journée nationale de sensibilisation à la drépanocytose
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Marie-Françoise Mégie propose que le projet de loi S-201, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénatrices et sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi S-201, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme. Permettez-moi de faire un bref historique de ce projet de loi. En 2011, à l’autre endroit, la députée Kirsty Duncan a déposé le projet de loi C-221, Loi concernant une stratégie nationale globale sur la drépanocytose et les thalassémies.
Malheureusement, ce projet de loi n’a pas dépassé l’étape de la première lecture. Faisant suite à l’engagement de la députée Duncan, l’honorable Jane Cordy a déposé dans cette Chambre le projet de loi S-211, faisant du 19 juin la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose. Il a reçu la sanction royale en décembre 2017. En novembre 2023, lors de la 44e législature, ce projet de loi a été déposé dans cette Chambre sous le numéro S-280. Il est arrivé à l’étape du renvoi en comité, mais il est malheureusement mort au Feuilleton.
[Traduction]
Cette maladie porte plusieurs noms.
[Français]
La maladie est connue dans les milieux francophones sous le nom de drépanocytose, dont l’étymologie grecque, drepanon, signifie « faucille » ou « croissant ». Dans les milieux anglo-saxons, le nom utilisé est sickle cell disease, dont la traduction française est « anémie » ou « maladie falciforme ». Cette diversité terminologique est courante, mais pour les besoins de mon discours, j’utiliserai l’expression « maladie falciforme ».
[Traduction]
En quoi consiste cette maladie exactement?
[Français]
Pour bien la comprendre, permettez-moi de faire une brève incursion dans le monde de la médecine. Ne vous inquiétez pas, je ferai en sorte que mes propos ne vous assomment pas. Cette maladie existe depuis la nuit des temps. Elle a été décrite pour la première fois dans la littérature médicale en 1910 par le médecin américain James Herrick, et sa transmission héréditaire a été établie en 1949 par James Neel.
[Traduction]
C’est une maladie génétique rare, chronique et multisystémique qui affecte la qualité de vie et réduit l’espérance de vie. C’est une condamnation à mort.
[Français]
Je vais expliquer chacune de ces caractéristiques.
(1520)
Je parlerai d’abord de l’aspect génétique : il s’agit d’une maladie héréditaire qui ne se contracte pas comme un rhume. Elle est transmise par les parents, quand l’enfant hérite des gènes de ses deux parents, d’où l’importance du dépistage universel, qui est évoqué dans la disposition 4 du cadre. Une proportion de 5 % environ de la population mondiale est porteuse du gène, que l’on appelle aussi « trait ». Ce pourcentage atteint 25 % dans certaines régions du globe.
En ce qui concerne sa prévalence, elle touche environ 6 000 Canadiens. Le Dr Yves Giguère, directeur du Programme québécois de dépistage néonatal sanguin, parle de la maladie falciforme comme d’une maladie rare, avec 1 cas sur 2 000 naissances au Québec.
La maladie falciforme est prévalente chez les personnes originaires de l’Afrique, des Caraïbes, de l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, mais on la retrouve aussi au Moyen-Orient, en Inde et dans le bassin méditerranéen.
Selon une étude publiée en 2023 par Jacob Pendergrast et ses collègues du Toronto General Hospital Research Institute, la prévalence estimée des patients atteints de la drépanocytose en Ontario entre 2007 et 2017 était d’une personne sur 4 200. De plus, le nombre des patients affectés ayant besoin de soins hospitaliers était substantiel.
En tant que maladie chronique et multisystémique, la maladie falciforme est présente à la naissance, elle dure toute la vie et elle atteint tous les systèmes de l’organisme. En quoi consiste-t-elle?
La maladie falciforme est une maladie génétique de l’hémoglobine, une protéine présente dans les globules rouges. Son rôle est de transporter l’oxygène. Quand elle est anormale, elle cause une déformation de ces globules. Normalement circulaires et souples, les globules rouges prennent une forme de croissant ou de faucille, comme l’indique le nom « falciforme ».
Cette déformation les rend rigides et entraîne une obstruction des petits vaisseaux sanguins, appelée vaso-occlusion. Elle diminue aussi la durée de vie des globules rouges, qui passe de 120 jours à 20 jours, ce qui cause une anémie grave. Comme tous les organes du corps reçoivent du sang, ils sont tous potentiellement atteints et ils manquent d’oxygène, ce qui est à l’origine de différents symptômes et des complications que je vais vous énumérer.
Les symptômes majeurs les plus courants sont des crises qui peuvent aller de douleurs d’une intensité moyenne à des douleurs intolérables au thorax, aux os et aux articulations. On parle de douleurs vaso-occlusives, qui exigent souvent de nombreuses hospitalisations.
Il y a aussi des infections qui peuvent aller de la septicémie au décès, si elles ne sont pas traitées dans l’immédiat. Parmi les complications les plus courantes, on compte les AVC. La documentation souligne que les jeunes âgés de moins de 20 ans atteints de cette maladie font des AVC — soit 1 patient sur 10.
Ils souffrent également d’hypertension pulmonaire, ce qui crée un besoin quotidien d’oxygène pour le reste de la vie. Imaginez-vous un jeune qui doit avoir sa bonbonne d’oxygène à traîner partout pour le reste de sa vie. Il peut se produire aussi une insuffisance rénale menant à la dialyse. Je m’arrête ici dans l’énumération, car ce serait trop long.
L’effet sur la réduction de l’espérance de vie est le suivant : dans les années 1970, elle était estimée entre 5 et 10 ans. De nos jours, beaucoup de patients qui reçoivent des traitements appropriés peuvent atteindre la soixantaine, ce qui est nettement moindre que dans la population générale. Il s’agit uniquement d’une estimation, car nous ne disposons pas de données probantes à ce sujet.
Je vais partager avec vous quelques histoires de patients que je vous ai déjà racontées. Pédagogiquement, cela sert de rappel, et nos nouveaux collègues les entendront pour la première fois. Considérant que l’espérance de vie d’une personne atteinte de la maladie falciforme est d’environ 50 ans, Ismaël, un jeune de 35 ans, nous dit avec un air résigné qu’il a déjà vécu presque la moitié de sa vie, si rien ne change.
[Traduction]
Pourquoi parler de la maladie falciforme aujourd’hui?
C’est une maladie à propos de laquelle on ne sait presque rien, qui est sous-diagnostiquée, qui reçoit peu de financement pour la recherche et qui cause des décès prématurés.
[Français]
Selon l’Association d’anémie falciforme du Canada, cette maladie est la plus répandue des maladies génétiques. Néanmoins, elle demeure méconnue du public et même des professionnels de la santé de nos jours.
Seules les équipes soignantes des centres désignés dans les grandes villes du Canada ont des professionnels qui connaissent la maladie et peuvent prodiguer des soins adéquats aux patients malades. Cette méconnaissance a de multiples conséquences.
D’abord, il y a l’appellation. Certaines familles qui ont connu le terme « drépanocytose » et qui arrivaient dans un milieu anglo-saxon ont mis du temps à se faire comprendre dans le milieu hospitalier.
Même quand les familles utilisent les bons termes, les prestataires de soins ne leur accordent pas l’attention requise et mettent tout sur le compte de l’anxiété parentale.
L’ignorance des manifestations de la maladie conduit également à un accès limité aux soins appropriés. Les parents reçoivent ordinairement la consigne, dès que leurs enfants font de la fièvre, de les amener aussitôt à l’hôpital, car si c’est une infection, elle risque de se répandre dans le sang, ce qui pourrait causer une septicémie pouvant mener à la mort. Cependant, ce n’est pas évident de le faire comprendre aux professionnels qui reçoivent ces parents à la salle d’urgence. Ces enfants meurent donc en bas âge.
Les douleurs thoraciques, osseuses et articulaires atroces dont je vous ai parlé plus tôt, quand elles ne peuvent être soulagées par des analgésiques réguliers, exigent l’usage de narcotiques comme la morphine, par exemple.
Ces adolescents sont étiquetés comme des « drogués » dans la salle d’urgence, et le traitement de la douleur est alors retardé, ce qui peut causer de graves complications. Des soins inadéquats et de la stigmatisation : voilà le lot de plusieurs de nos jeunes patients qui souffrent.
Parallèlement aux symptômes physiques, le bien-être mental est considérablement compromis. Hospitalisations répétées, difficultés à garder un emploi stable : l’estime de soi peut être très affectée. Les parents assistent, impuissants, à des crises de colère de leur enfant et à de la tristesse pouvant même mener à la dépression.
Je vous cite quelques mots de Mamoudou :
Mon défi émotionnel, c’était pourquoi je ne suis pas normal et souvent au lit? Pourquoi mes jambes et mon bras me font-ils si mal? Sur 24 heures, il m’arrive de passer 18 heures à pleurer par intermittence. Chaque matin quand je me lève, je ressens cette épée de Damoclès sur la tête : « Qu’est-ce qui va m’arriver aujourd’hui ou demain? »
Ismaël partage ces mots avec nous : « Il m’est difficile de planifier à long terme, car ma durée de vie a une date d’expiration presque certaine. »
D’un autre côté, un parent évoquant son vécu témoigne des effets dévastateurs de la maladie sur la vie quotidienne et le bien-être familial. Je le cite :
L’hôpital devient pour nous une seconde résidence, entravant ainsi nos capacités à planifier notre horaire de travail, nos vacances, bref, à jouir d’une certaine qualité de vie.
Certaines familles doivent faire un choix de carrière différent pour être en mesure d’habiter près des centres où la maladie est connue par les professionnels de la santé.
[Traduction]
Parlons du manque de financement.
[Français]
La santé mentale des malades et de leurs familles fait l’objet d’études au Centre interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s à Ottawa.
Les demandes de subventions pour la recherche présentées par les spécialistes hémato-oncologues s’intéressant à cette maladie ne recueillent que des refus de la part des organismes subventionnaires.
Bien que la maladie falciforme soit la première maladie génétique identifiée, les avancées thérapeutiques ont tardé. C’est en grande partie en raison d’un manque de fonds pour la recherche. Plusieurs spécialistes comparent la maladie falciforme et les enjeux qui l’entourent à d’autres conditions génétiques, notamment la fibrose kystique. En effet, ces deux maladies présentent certaines caractéristiques communes.
Ce sont des maladies rares, chroniques et multisystémiques entraînant une réduction de l’espérance de vie. Pourtant, il existe d’importantes disparités quant aux fonds alloués à la recherche, au registre et aux avancées dans le domaine thérapeutique. Sur le site de Fibrose kystique Canada, on peut lire que plusieurs subventions sont accordées aux scientifiques pour la recherche. Certaines peuvent atteindre jusqu’à 100 000 $ par an.
Cependant, sur le site de l’Association d’anémie falciforme du Canada, on retrouve deux maigres subventions disponibles : il s’agit de deux catégories individuelles d’un montant de 20 000 $ par an pendant deux ans et de deux autres d’un maximum de 5 000 $ chacune aussi pour deux ans.
(1530)
Quand donc verra-t-on la création d’une chaire de recherche sur la maladie falciforme au Canada?
Maintenant, parlons du diagnostic. La clé est le dépistage néonatal universel et on l’obtient par une simple piqûre au talon du nouveau-né. Ce test, bien connu de tous les parents après l’accouchement, figure parmi les tests de dépistage de plusieurs autres maladies métaboliques et génétiques faisant déjà partie du programme de dépistage provincial. Pourtant, il a fallu que Lillie Johnson, infirmière et fondatrice de la Sickle Cell Association of Ontario, lutte pour que le dépistage néonatal universel de la maladie falciforme soit instauré dans sa province en 2006.
En novembre 2009, la Colombie-Britannique a emboîté le pas, suivie de la Nouvelle-Écosse en 2014. En novembre 2013, ce dépistage a été partiellement implanté au Québec et en 2016, il a été étendu à l’ensemble de la province, et ce, grâce à la persévérance du président de l’Association d’anémie falciforme du Québec, M. Wilson Sanon. Par la suite, plusieurs autres provinces ont suivi le courant. Le Manitoba vient d’implanter le dépistage et il est à l’étude en Saskatchewan.
La détection précoce permet aux soignants de mettre en place des interventions et un plan de traitement efficace en collaboration avec la famille. Cette prise en charge, qui commence dans les premiers mois de la vie, contribue à diminuer la fréquence des hospitalisations et à prévenir les complications, ce qui permet d’améliorer la qualité de vie de ces enfants et de leur famille.
Qu’en est-il du traitement? Il est maintenant connu qu’une hydratation adéquate, de bonnes habitudes de vie et la non-exposition aux températures extrêmes aident à prévenir les complications. Parfois, la massothérapie et un suivi psychosocial peuvent faire partie du plan de traitement.
Malgré le fait que la maladie falciforme ait été identifiée il y a plus de 100 ans, nous avons un grand retard en matière de traitement. Depuis de nombreuses années, l’hydroxyurée, un médicament utilisé à l’origine dans le traitement du cancer, est administrée pour gérer cette maladie. Il y a d’autres options de traitement, comme les transfusions sanguines et l’aphérèse, une technique complexe qui consiste à prélever du sang, à le nettoyer, puis à le transfuser de nouveau. La greffe de moelle osseuse, qui est disponible au Québec depuis 1980, est le seul traitement curatif jusqu’ici. Selon la Dre Yvette Bonny, pionnière nationale de cette intervention, ce traitement ne peut pas être offert à tous, compte tenu de ses complications.
Toutes ces interventions, combinées à un suivi assuré par une équipe multidisciplinaire, contribuent à améliorer la qualité de vie des patients. Actuellement, il existe trois nouveaux médicaments approuvés par la Food and Drug Administration (FDA), et je vous ferai grâce de leurs noms complexes. La thérapie génique apporte aussi un espoir à visée curative. Toutes ces options de traitement ont fait la preuve de certains avantages, soit en réduisant à la fois le nombre et la gravité des épisodes de douleur aiguë, soit en corrigeant l’anémie. Malheureusement, ces médicaments ne conviennent pas à tous les malades. C’est la raison pour laquelle il faut explorer de nouvelles voies d’innovation pour développer des médicaments adaptés à un éventail plus large de patients atteints de la maladie. Il en sera question aux dispositions 2 et 9 du cadre national.
[Traduction]
Voici pourquoi ce cadre devrait vous intéresser : il améliorera la sensibilisation des professionnels de la santé; il créera un cadre national de recherche; il instaurera un registre national; il assurera un accès universel au dépistage néonatal; il favorisera la sensibilisation du public; et il fournira un soutien financier nécessaire.
[Français]
Que renferme ce cadre national? Au moyen du cadre national, le projet de loi S-201 propose un plan en neuf points.
Premièrement, il aidera à mobiliser les instances réglementaires médicales et infirmières et d’autres professions de la santé, pour inciter leurs membres à en apprendre davantage sur la maladie, les solliciter dans le but d’instaurer des initiatives concrètes répondant aux besoins de formation des prestataires de soins sur la maladie et renforcer leurs compétences. Cette disposition permettrait de prévenir la méconnaissance de la maladie chez certains professionnels de la santé.
Deuxièmement, le soutien en vue de créer un réseau national de recherche consacré à faire progresser la compréhension de la maladie est une mesure fondamentale. Des efforts sont faits en ce sens par l’Association d’anémie falciforme du Canada (AAFC), qui collabore activement avec l’association des hématologues canadiens, la CanHaem, pour promouvoir la recherche et faciliter la collecte de données. Certains spécialistes de ce domaine, passionnés et engagés, tentent de collecter les données des patients suivis à leur clinique.
Sur cette même lancée, l’implantation de ce cadre favorisera la mise en place d’un registre national visant à réduire les disparités existantes dans la connaissance, le diagnostic et la prise en charge de la maladie. La Dre Smita Pakhale, qui travaille à la chaire de recherche clinique sur l’équité et l’engagement des patients dans les populations vulnérables, abonde dans le même sens. Le Dr Giguère nous a indiqué que l’un des nombreux avantages d’un registre est de pouvoir contacter les personnes atteintes de la maladie plus facilement s’il y a une percée médicale curative.
Troisièmement, le cadre aidera à établir des normes nationales fondées sur des données probantes en matière de diagnostic et de traitement de la maladie falciforme. L’élaboration de lignes directrices nationales harmonisées permettra d’orienter les politiques de santé. En s’appuyant sur les meilleures données scientifiques disponibles et les recommandations des experts du domaine, ces normes contribueront à améliorer les résultats cliniques, à réduire la mortalité évitable et à renforcer la confiance des patients à l’endroit du système de santé.
Quatrièmement, l’instauration d’un cadre national garantira un accès équitable au dépistage néonatal universel et au diagnostic de la maladie falciforme partout au Canada. Ceci permettra d’assurer à tous les nouveau-nés des soins adaptés dès la naissance.
Cinquièmement, le cadre servira de levier pour soutenir des campagnes nationales visant à accroître la sensibilisation, la compréhension de la maladie falciforme au sein du grand public et le soutien au bien-être des familles et des aidants des personnes atteintes. Ces initiatives d’éducation populationnelle menées par les organismes communautaires permettront de réduire la stigmatisation des malades. Tout cela permettra aussi d’encourager le don de sang comme geste solidaire essentiel pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes et d’instaurer un environnement de soutien inclusif pour les individus affectés et leurs proches.
Sixièmement, le cadre prévoit la mise en place d’une réserve de sang diversifiée. Une telle diversité est essentielle pour répondre adéquatement aux besoins spécifiques de certains groupes, notamment les personnes vivant avec la maladie falciforme, qui ont besoin de transfusions fréquentes. En favorisant la participation de communautés sous-représentées dans le système de collecte de sang, ces mesures contribueront à renforcer la sécurité des transfusions et à garantir une meilleure équité d’accès.
Septièmement, le cadre veut explorer la faisabilité d’un crédit d’impôt pour les familles des personnes atteintes par la maladie. Cette considération est particulièrement pertinente, car de nombreux jeunes adultes touchés par cette maladie éprouvent des difficultés à garder un emploi en raison d’hospitalisations répétées et de la fatigue chronique invalidante liée à la maladie.
Huitièmement, le cadre contribuera à l’inclusion de la maladie falciforme parmi les critères d’admissibilité aux prestations d’invalidité existantes, reconnaissant ainsi les impacts considérables et souvent invisibles de cette maladie sur l’état d’invalidité fluctuante des personnes atteintes. À cet effet, le cadre favorisera une plus grande justice sociale et un meilleur accompagnement des personnes touchées.
Neuvièmement, le cadre étudiera la possibilité d’inclure les traitements essentiels aux soins de la maladie falciforme dans les régimes publics d’assurance médicaments, dans une optique d’équité en matière de santé. Les personnes souffrant de cette maladie doivent recourir à des médicaments coûteux. Or, l’accès à ces médicaments varie considérablement d’une province à l’autre, ce qui entraîne des inégalités marquées et des barrières financières importantes, notamment pour les communautés déjà marginalisées. Par conséquent, cela contribuerait à la réduction des coûts globaux du système de santé.
En intégrant tous ces aspects, nous cherchons à développer un cadre global qui tient compte non seulement des besoins médicaux, mais également des défis socioéconomiques auxquels font face les individus et leurs familles.
Honorables sénatrices et sénateurs, l’instauration d’un cadre national pour la maladie falciforme est une réponse à la résolution de l’UNESCO adoptée en 2007 et à celle de l’Assemblée générale de l’ONU adoptée en 2008. Ces résolutions, qui ont été adoptées à l’unanimité, reconnaissent l’anémie falciforme comme un problème de santé publique.
Si l’on tient compte de tout ce que je viens de dire, il devient impératif de soutenir l’adoption de ce projet de loi visant à combler les lacunes existantes sur les plans de la sensibilisation, de la recherche et d’un registre national. Face à ces enjeux, l’acheminement rapide du projet de loi S-201 en comité s’impose.
(1540)
Je vous encourage à visionner, sur la plateforme YouTube, un clip pilote d’une durée de 15 minutes tiré d’un futur documentaire qui s’intitule Anémie falciforme, souffrir en silence, de M. Mamoudou Camara, qui raconte l’histoire d’un jeune homme souffrant de cette maladie.
Tout comme dans le cas de la fibrose kystique, le Canada peut devenir un leader mondial en ce qui concerne tous les aspects liés à la maladie falciforme.
Je tiens à remercier plusieurs personnes : les spécialistes, les Drs Auray-Blais, Bonny, Pakhale, Cénat, Giguère, Pastore et Soulières, pour leurs commentaires judicieux; les présidents de l’Association de l’anémie falciforme du Canada, Mme Tinga, et de l’Association d’anémie falciforme du Québec, M. Sanon, que je remercie aussi en leur qualité de parents, tant pour leur enthousiasme que pour leur persévérance contagieuse et leur soutien à mon initiative pour déposer le projet de loi S-201; enfin, je remercie Mme Mouscardy, Mamoudou et Ismaël, qui m’ont ouvert les portes de leur intimité pour m’aider à comprendre leur vécu de parent et de jeunes vivant avec cette maladie.
C’est votre tour, chers collègues, de donner votre appui au projet de loi S-201 pour le renvoyer en comité le plus vite possible. Je vous remercie.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Traduction]
La Loi sur les aliments et drogues
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Patrick Brazeau propose que le projet de loi S-202, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcooliques), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, pour ceux qui le connaissent, notre ancien collègue le sénateur Baker avait l’habitude de dire « je serai bref », mais je vais effectivement être bref.
Nous sommes saisis du projet de loi S-202, qui rendrait obligatoire l’apposition d’une étiquette de mise en garde contre le risque de cancer sur les boissons alcooliques. Les données scientifiques le prouvent depuis longtemps : la consommation d’alcool est un facteur à l’origine de sept types de cancers mortels, notamment le cancer du côlon chez les hommes et le cancer du sein chez les femmes.
Dans son incarnation précédente, cette mesure législative était le projet de loi S-254. Pour les nouveaux sénateurs, mais peut-être aussi pour les sénateurs qui étaient déjà là lors de la dernière législature, rappelons que le projet de loi S-254, c’est-à-dire le projet de loi S-202 dont nous sommes saisis, en était à l’étape de l’étude en comité. Tout juste avant Noël, il avait été convenu que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie allait l’étudier en février. Malheureusement, comme pour bien d’autres questions et projets de loi, le Parlement a été prorogé et le projet de loi est mort au Feuilleton. Voilà pourquoi il doit être présenté de nouveau.
J’espérais que le projet de loi serait directement renvoyé au comité, puisque c’est ce qui avait déjà été convenu et que la mesure législative en était déjà à cette étape. Je me suis adressé aux dirigeants de tous les partis, mais il n’a pas été possible de s’entendre pour qu’elle soit directement renvoyée au comité. Compte tenu des données probantes, j’espère toutefois qu’elle le sera très bientôt.
Je vais faire quelques observations supplémentaires. Je vous invite à consulter le discours que j’ai prononcé le 1er juin 2023 à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-254, car il s’applique entièrement au projet de loi S-202 à l’étude aujourd’hui.
Malgré la prorogation du Parlement, mon bureau a organisé un symposium en ligne à l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer. De nombreux experts canadiens et étrangers sont venus y discuter de cancer, d’alcool et d’étiquetage.
Le symposium a réuni notamment Erin Hobin, Catherine Paradis, le Dr Robert Cushman, et Sheila Gilheany, qui vient d’Irlande, un pays qui devrait avoir des étiquettes de mise en garde sur ses produits alcoolisés à compter de l’an prochain, quoique le lobby de l’alcool exerce de fortes pressions pour empêcher que ces étiquettes se retrouvent sur les tablettes. Nous avons également pu compter sur la participation de Kathy Unsworth, de Nancy Poole, d’Adam Sherk, du Dr Tim Naimi, du Dr Tim Stockwell et du Dr Fawaad Iqbal, qui ont chacun fait une présentation dans le cadre du symposium.
En résumé, cette mesure aurait certainement dû être prise depuis longtemps. Quatre-vingts pour cent des Canadiens consomment de l’alcool, mais seulement quelque 25 % sont conscients de la corrélation entre la consommation d’alcool et sept cancers mortels.
En tant qu’ancien consommateur d’alcool, j’ai déjà compté dans les 75 % des Canadiens qui ignorent le rapport de causalité qui existe entre la consommation d’alcool et ces sept cancers. J’ai mené mon propre combat contre le cancer du côlon il y a plusieurs années. Le traitement me donnait l’impression qu’on me tuait par en dedans, donc, j’ai décidé de l’abandonner. J’ai capitulé. Puis, en 2020, j’ai décidé d’arrêter de consommer de l’alcool, et le 29 mars 2025, tandis que le Parlement était prorogé, j’ai célébré ma cinquième année de sobriété.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Brazeau : C’est pourquoi je suis particulièrement fier de présenter le projet de loi et le prochain projet de loi, dont je parlerai bientôt, encore une fois très brièvement. Toutefois, il n’est pas question de ma fierté personnelle ou de ce que moi ou d’autres avons vécu. Il est question de fournir des informations vitales et nécessaires en matière de santé à tous les Canadiens, comme nous l’avons fait pour le tabac.
Nous savons qu’il faut apposer des étiquettes d’avertissement sur les risques de cancer sur les produits du tabac. Nous savons qu’il faut apposer des étiquettes d’avertissement sur les risques de cancer sur les produits du cannabis. Le gouvernement du Canada n’a même pas eu à demander aux entreprises de cannabis d’en apposer sur leurs produits : elles l’ont fait de leur plein gré.
Le projet de loi porte strictement sur les avertissements sur les risques de cancer. Compte tenu de tout ce que nous savons, la question à laquelle il faut répondre — et personne n’y a encore répondu — est la suivante : comme on sait que la consommation d’alcool augmente les risques de développer sept cancers mortels, pourquoi les fabricants de boissons alcoolisées jouiraient-ils d’un passe-droit au Canada? Merci.
L’honorable Peter Harder (Son Honneur le Président suppléant) : Acceptez-vous de répondre à une question, sénateur Brazeau?
Le sénateur Brazeau : Absolument.
L’honorable Salma Ataullahjan : Sénateur Brazeau, pensez-vous que le Canadien moyen est au courant des cancers causés par l’alcool? Comme je ne bois pas, je n’étais certainement pas au courant. Pensez-vous que le Canadien moyen sait que cette information est disponible?
Le sénateur Brazeau : Merci beaucoup de votre question et, en ce qui concerne le fait que vous ne consommez pas d’alcool, vous faites bien. On devrait célébrer un peu plus cette décision que l’inverse. Pour répondre à votre question, comme je l’ai dit, 80 % des Canadiens consomment de l’alcool dans ce pays, mais seulement environ 25 % — un quart — savent qu’il existe un lien entre la consommation d’alcool et le cancer. L’apposition d’étiquettes permet à tous les consommateurs d’alcool et à tous les citoyens canadiens de disposer des informations nécessaires en matière de santé.
Les fabricants d’alcool font exactement la même chose que les fabricants de tabac. Je ne réinvente pas la roue. Ils utilisent les mêmes arguments que les fabricants de tabac. C’est pourquoi il faut 20 à 25 ans pour adopter des lois comme celle-ci. J’ai présenté ce projet pour la première fois en 2023 et nous en sommes encore là. Nous n’avons pas encore terminé.
En voici un exemple parfait : le rapport Kirby sur la santé mentale produit par le Sénat. Le Sénat est connu pour ce rapport. Il s’agit là d’un exemple de dossier où nous pouvons faire preuve de leadership au Canada, car les politiciens élus veulent rester à mille lieues de ce dossier. Nous savons pourquoi ils ne veulent pas l’aborder, c’est parce que les fabricants d’alcool et leur lobby sont extrêmement puissants. Toutefois, nous pourrions prendre l’initiative et faire comprendre que nous nous soucions de la santé et du bien-être des citoyens canadiens.
(1550)
Quoi qu’en disent les fabricants de produits alcoolisés et les lobbyistes, la meilleure façon de prodiguer ces renseignements, c’est de recourir à l’étiquetage. Chaque fois qu’ils ont quelque chose à dire — et chaque fois qu’ils produisent leurs propres rapports sur la santé, qu’ils ont commandités et payés —, je dis aux gens de ne pas les écouter. Leur seul intérêt, c’est la vente. Ils ne se soucient ni de la santé ni du bien-être des Canadiens.
Voici l’occasion de montrer aux Canadiens que nous nous soucions d’eux. Nous pouvons envoyer un message fort et faire avancer les choses pour opérer un changement générationnel dans ce pays.
L’honorable David M. Wells : Sénateur Brazeau, je vous remercie d’avoir présenté de nouveau ce projet de loi. À tout le moins, il s’agit d’un débat important auquel devraient participer les Canadiens.
Il semble que le projet de loi vise à faire apposer une étiquette sur chaque bouteille. Y a-t-il une disposition ou une considération pour les établissements comme les bars et les restaurants qui ne servent pas de bouteille — ils peuvent simplement servir un verre de vin ou un verre de scotch, mais pas la bouteille de scotch —, où le consommateur ne verrait pas nécessairement l’étiquette de mise en garde?
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie de votre question. Oui. Dans le cas précis des bars ou des endroits qui ont un permis de vente d’alcool, il y a une disposition qui prévoit que même si dans ces endroits la mise en garde ne se trouve pas sur chaque bouteille, il doit y avoir des panneaux d’avertissement placés à la vue des consommateurs.
L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler : Félicitations, sénateur Brazeau. Merci de présenter un projet de loi qui permettra aux Canadiens de prendre des décisions éclairées au sujet de leur santé.
Ma question porte sur cette mesure et les risques pour la santé liés à l’alcool. Pensez-vous que les étiquettes devraient uniquement mettre en garde contre les cancers, ou croyez-vous qu’elles devraient être plus exhaustives et mentionner d’autres risques pour la santé liés à l’alcool?
Le sénateur Brazeau : Je vous remercie de vos commentaires et de votre question.
Le projet de loi S-202 porte seulement sur l’ajout sur les produits de mises en garde concernant le cancer. Cela dit, si vous avez la patience d’attendre quelques instants, nous pourrons parler du projet de loi S-203. Il pourrait offrir une réponse plus complète quant à la voie à suivre à l’avenir. Cela concernera toutefois le projet de loi S-203. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Français]
Projet de loi interdisant la promotion des boissons alcooliques
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Patrick Brazeau propose que le projet de loi S-203, Loi visant à interdire la promotion des boissons alcooliques, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je vais parler encore plus brièvement de ce projet de loi. Je vais vous demander de consulter mon discours du 5 décembre 2024, à l’étape de la deuxième lecture, sur le projet de loi S-290, qui est maintenant le projet de loi S-203 dont nous sommes saisis.
Ce projet de loi vise tout simplement, comme on le fait avec les produits du tabac et du cannabis au Canada, à interdire la promotion des boissons alcooliques au Canada. Il s’agit d’un projet de loi très simple. Le projet de loi S-202 vise à apposer des étiquettes de mise en garde contre le cancer sur les produits alcoolisés. Le projet de loi S-203 vise à interdire la promotion des boissons alcooliques. Pourquoi l’interdire? Je fais le lien avec la question que j’ai reçue plus tôt. Le projet de loi S-202 vise strictement le lien de causalité entre la consommation d’alcool et le cancer. Cependant, nous n’avons pas parlé de tous les effets négatifs, directs et indirects, de l’alcool, comme les décès, les accidents, les blessures, la conduite avec des facultés affaiblies, les appels aux services d’urgence et les visites dans les centres hospitaliers et les salles d’attente. Nous n’avons pas parlé de la dépression, de la dépendance, des suicides, de la violence conjugale, d’autres problèmes physiques et des problèmes de santé mentale. Nous n’avons pas lié tous ces éléments à l’alcool.
Au Canada, nous avons un déficit associé à l’alcool de 6 milliards de dollars. Lorsqu’on parle de la promotion des boissons alcooliques, c’est souvent pour faire référence aux chiffres de vente des provinces. Toutefois, quelqu’un paie pour les effets négatifs causés par la consommation d’alcool, et c’est pour cette raison qu’il y a un déficit de 6 milliards de dollars. Les frais de santé, les frais liés au système de justice et les coûts pour la société sont plus élevés pour les contribuables, qu’ils consomment ou non, que les recettes tirées de la vente d’alcool au Canada. Si nous sommes conscients de cela et que nous savons qu’il y a un déficit de 6 milliards de dollars, si nous savons que la consommation d’alcool cause sept cancers mortels connus, pourquoi continuer à promouvoir l’alcool? La même question se pose pour le projet de loi S-202 : pourquoi les fabricants d’alcool au Canada obtiennent-ils un passe-droit?
Nous sommes ici pour veiller à ce que de telles entreprises n’aient pas de passe-droit. C’est notre travail. Je vous présente le projet de loi S-203 pour qu’il soit étudié en comité parce que l’heure est venue de traiter l’alcool pour ce qu’il est : un poison. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Traduction]
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Kim Pate propose que le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, sur le territoire non cédé et non restitué du peuple algonquin anishinabe, pour présenter de nouveau la loi de Tona. La loi de Tona a pour but d’assurer une surveillance, des mesures de réparation et des solutions de rechange à l’isolement dans les prisons fédérales.
Il semble un peu risqué de parler des droits de la personne de nos jours. Nous vacillons entre un héritage colonial non résolu et des atteintes à la souveraineté du Canada.
Trop nombreux sont ceux qui se heurtent à des obstacles terribles pour se nourrir, se loger et obtenir des soins de santé, et qui sont menacés par le recours à la disposition de dérogation pour justifier la violation des droits de la personne et des droits garantis par la Charte et l’imposition de peines draconiennes.
Les prisons sont remplies de personnes qui ont été abandonnées par tous les autres systèmes : le système de santé, le système d’aide sociale, le système d’aide à l’enfance, le système d’éducation et le système de soutien au revenu. Dans les prisons fédérales, les pauvres, les sans-abri et les personnes qui souffrent de troubles mentaux ou de toxicomanie, soit les personnes les plus marginalisées du pays, sont soumises à des conditions inhumaines inimaginables.
(1600)
L’effritement et les violations des droits de la personne dans les prisons reflètent notre incapacité totale à protéger nos valeurs fondamentales. Dans les sociétés où l’on bafoue les droits et les libertés, les premières victimes sont toujours les personnes les plus marginalisées. Cependant, les abus ne se limitent jamais à elles. Il est temps de « jouer du coude » et de s’opposer à la normalisation des inégalités, de la marginalisation et de l’oppression, peu importe où elle se produit.
La loi de Tona traite de l’isolement, qu’on appelle aussi isolement cellulaire.
Comment puis-je décrire l’horreur que représente le fait d’enfermer et d’isoler des êtres humains dans un lieu qui n’est guère plus qu’un placard en béton pendant des heures, des jours, des semaines, voire des années?
Si vous avez suivi des procès ou en avez lu les comptes rendus, si vous avez vu les conclusions médicales ou les rapports d’enquête de coroners sur les effets de l’isolement sur la santé mentale et physique des personnes qui y ont survécu et qui n’y ont pas survécu, vous savez déjà que les effets dommageables commencent à apparaître dès que la porte de la cellule se referme.
La privation sensorielle et d’autres dommages irréversibles peuvent se développer en moins de 48 heures. Après sept jours d’isolement, l’activité cérébrale peut être altérée de façon permanente. Comme l’a résumé la Cour d’appel de l’Ontario, l’isolement est :
[…] associé à plusieurs reprises à divers éléments : problèmes d’appétit et de sommeil, anxiété, panique, rage, perte de contrôle, dépersonnalisation, paranoïa, hallucinations, taux accru de suicide et d’automutilation […]
À l’échelle internationale, on considère que 15 jours d’isolement équivalent à de la torture.
L’isolement est trop souvent le moyen par défaut de répondre aux besoins complexes des détenus — liés à l’âge, à un handicap, à la santé mentale, à la toxicomanie, aux traumatismes et aux répercussions intergénérationnelles du colonialisme — que nous n’avons pas su satisfaire.
L’isolement est l’une des approches les plus cruelles, les plus inefficaces et les plus coûteuses pour améliorer la sécurité publique, ce qui est notre objectif commun. D’après les calculs du directeur parlementaire du budget, cette mesure coûte aux Canadiens des millions et des millions de dollars chaque année.
Pendant près de cinq décennies, j’ai passé un nombre incalculable d’heures agenouillée sur des planchers de ciment, devant de petites fentes ou des charnières de porte, et à implorer des personnes — qui sont les enfants, les frères ou sœurs, les parents ou les partenaires de quelqu’un — d’arrêter de se frapper la tête, de se taillader le corps, de s’attacher des liens autour du cou, d’essayer de s’arracher les yeux ou de se mutiler autrement.
Les sons du tourment et du désespoir sont indescriptibles. Ils me hanteront à jamais. Comment l’un d’entre nous peut-il imaginer avoir besoin d’un contact humain au point de risquer la mort pour provoquer une intervention humaine, même violente?
En 2019, le gouvernement a promis que le projet de loi C-83 éliminerait le recours à l’isolement cellulaire dans les pénitenciers fédéraux. En fait, la loi visait plutôt à empêcher la Cour suprême du Canada de confirmer les décisions des cours d’appel provinciales statuant que l’isolement cellulaire est néfaste et inconstitutionnel. Plus de cinq ans plus tard, l’isolement est utilisé plus souvent et avec moins de surveillance qu’avant.
Le Sénat a reconnu à plusieurs reprises la nécessité de sauvegarder les droits de la personne et les droits garantis par la Charte qui protègent les prisonniers fédéraux et tous les Canadiens. Chers collègues, nous avons déjà voté trois fois en faveur des mesures de la loi de Tona.
En 2019, le Sénat a voté l’ajout de ces mesures au projet de loi C-83, sur recommandation du Comité sénatorial des affaires sociales. Le gouvernement les a supprimées par manque de discernement.
En 2021, le Sénat a approuvé ces mesures dans le cadre des recommandations du Comité des droits de la personne dans son rapport sur les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral.
Plus récemment, en décembre 2024, après un examen robuste sur plusieurs années par le Comité des affaires juridiques, le directeur parlementaire du budget et le Sénat, la loi de Tona a été adoptée et renvoyée à l’autre endroit.
Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui est le même que celui que nous avons adopté. Une seule modification a été apportée pour clarifier dans le texte du projet de loi un point que nous avions compris en pratique, lors de l’adoption du projet de loi : l’expression « troubles mentaux invalidants » dans la loi de Tona pourrait être définie à l’aide de critères figurant déjà ailleurs et approuvés par le gouvernement dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
Les élections et la nouvelle législature nous ramènent à la case départ, et des années de travail risquent d’être anéanties. L’issue serait particulièrement cruelle pour les personnes placées en isolement — des âmes pour lesquelles chaque jour compte.
Tout en vous invitant humblement à voter en faveur du renvoi de ce projet de loi à la Chambre des communes dans les plus brefs délais, je remercie mes collègues de leurs encouragements et de leur soutien constants.
Permettez-moi ici de saluer le travail collectif de plus de 40 d’entre vous qui vous êtes rendus dans des prisons dans le cadre de l’initiative « Senators Go to Jail » pour rencontrer ceux qui y sont enfermés.
En 2019, quelques instants après l’adoption du projet de loi C-83, plusieurs d’entre vous, y compris le parrain du projet de loi d’initiative ministérielle au Sénat, ont proposé que les sénateurs collaborent pour visiter des prisons afin de surveiller la mise en œuvre du projet de loi C-83 et, en particulier, ses répercussions sur les droits de la personne.
Je remercie tous ceux qui ont soutenu cette initiative et qui y ont participé.
Je suis également reconnaissante à Tona Mills de m’avoir inspirée. Tona a imploré les membres du Comité des droits de la personne de faire tout notre possible pour empêcher quiconque de subir les conditions épouvantables auxquelles elle a été soumise, qui ont abouti à un diagnostic psychiatrique de schizophrénie causée par l’isolement. Elle nous a exhortés à mettre fin à l’isolement cellulaire et à faire sortir les autres de prison pour leur offrir des services de santé mentale adaptés.
J’ai rencontré Tona pour la première fois il y a une trentaine d’années. Je me suis agenouillée près de la fente qui sert à remettre les repas devant les unités d’isolement qu’elle a occupées, d’abord à la prison des femmes de Kingston, puis dans d’autres prisons, y compris des prisons pour hommes, car Tona a passé la majeure partie de son parcours carcéral de plus de 10 ans en isolement; elle était même parfois enchaînée au lit ou au plancher.
À l’extérieur de la prison des femmes aujourd’hui fermée, la cage métallique de la taille d’une cellule où on enfermait Tona est toujours là. Lors d’une visite de l’endroit avec des étudiants en droit ces dernières années, l’un d’eux m’a demandé si c’était là qu’on gardait les chiens. Vous pouvez imaginer la réaction d’horreur des étudiants lorsque je leur ai expliqué que cette cage avait été construite pour y enfermer Tona lorsqu’elle avait le droit de sortir une heure par jour pour prendre un peu d’air frais.
Aujourd’hui, Tona reçoit des soins palliatifs pour un cancer en phase terminale. Les personnes qui s’occupent d’elle ont du mal à croire qu’on ait pu la qualifier de dangereuse. Elles la décrivent comme une patiente pleine d’esprit, gentille et généreuse, qui ne manque jamais une occasion de défendre les autres.
Depuis décembre, date à laquelle nous avons adopté la dernière version de la loi de Tona, la nécessité d’une telle législation n’a fait que croître. La dernière action du comité d’experts indépendants — nommé par le ministre de la Sécurité publique pour surveiller la mise en œuvre du projet de loi C-83 — avant sa dissolution a été la remise de son rapport final.
Le comité a conclu que, dans le système d’unité d’intervention structurée créé sous le régime du projet de loi C-83, « [...] la pratique de l’isolement cellulaire se poursuit [...] » et que la surveillance de cette pratique, comme l’ont souligné de récentes décisions judiciaires, est pratiquement inexistante.
Le comité a souligné que les unités d’intervention structurée se trouvent dans ce qu’on appelait autrefois des cellules d’isolement, qui sont parfois recouvertes d’une fine couche de peinture.
Selon le comité, la plupart des personnes placées dans des unités d’intervention structurée continuent de subir des conditions d’isolement cellulaire. Pour la proportion importante de détenus dont la période d’isolement dure plus de 15 jours :
Les Règles Mandela suggèrent que ces prisonniers vivent dans des conditions [...] équivalant à « de la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » [...]
Le comité a insisté sur l’absence d’une surveillance efficace des unités d’intervention structurée. Malgré cette réalité, le Service correctionnel du Canada souligne souvent l’existence de trois mécanismes pour exercer cette surveillance : le comité consultatif ministériel, le Bureau de l’enquêteur correctionnel et les décideurs externes indépendants. Or, le Service correctionnel du Canada omet systématiquement de donner suite aux préoccupations soulevées par ces entités — lorsqu’elles le font — ou de les reconnaître.
Cette situation déjà inacceptable n’a fait qu’empirer avec la dissolution du comité consultatif ministériel.
En dépit de leur nom, les décideurs externes indépendants relèvent du Service correctionnel du Canada, l’organisme dont ils examinent les décisions. C’est le Service correctionnel du Canada qui signale aux décideurs externes indépendants les détenus susceptibles d’être exposés à un risque en raison de décisions correctionnelles.
Bien que les décideurs externes indépendants se décrivent eux-mêmes comme surchargés, le ministre de la Sécurité publique a décidé l’année dernière de ne pas renouveler les contrats de plusieurs d’entre eux. Pendant des mois, seuls 7 des 12 postes ont été pourvus, jusqu’à ce que d’autres nominations soient faites à la fin du printemps. Les décideurs externes indépendants dont les contrats n’ont pas été renouvelés sont également ceux qui étaient les moins susceptibles d’approuver sans discussion les décisions correctionnelles.
Le comité consultatif ministériel a recommandé vivement au gouvernement de :
[...] démontrer qu’il est sérieux pour s’assurer que les activités [du Service correctionnel du Canada] sont légales et conformes à la Charte. Il doit démontrer qu’il comprend que cela nécessite une surveillance continue et ciblée des conditions d’isolement cellulaire [...]
L’ancien ministre de la Sécurité publique a refusé à plusieurs reprises de comparaître devant le Comité sénatorial des droits de la personne pour discuter de ces questions et d’autres préoccupations relatives aux droits fondamentaux des prisonniers. En outre, jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas effectué l’examen parlementaire quinquennal requis des unités d’intervention structurée ou du projet de loi C-83.
(1610)
Le comité consultatif du ministère a insisté sur le fait que les personnes les plus marginalisées, surtout les Noirs, les Autochtones et les personnes souffrant de troubles mentaux invalidants, sont plus susceptibles d’être isolées dans ces unités.
Les normes juridiques internationales et canadiennes interdisent l’isolement en cellule des personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. Or, selon les propres données de Service correctionnel Canada, le nombre des personnes souffrant de troubles mentaux invalidants est deux fois plus élevé que les autres dans les unités d’intervention structurée.
Au Canada, les Noirs représentent 4 % de la population canadienne, mais 10 % de la population des prisons fédérales et 18 % des personnes confinées dans les unités d’intervention structurée. De leur côté, les Autochtones représentent 5 % de la population canadienne, 33 % de la population des prisons fédérales et 44 % des personnes confinées dans ces unités. Presque toutes les femmes confinées dans ces unités, c’est-à-dire 96 %, sont autochtones.
Il est frappant et troublant d’apprendre qu’un Aîné travaillant auprès des prisonniers a déclaré aux membres du comité consultatif que « les [unité d’intervention structurée] reflètent le pire du [Service correctionnel du Canada], ce qui signifie qu’il n’y a pas de traitement, pas d’aide et pas d’espoir [...] »
Le mandat du défunt comité consultatif et des décideurs externes indépendants se limite aux unités d’intervention structurée; toutes les autres formes d’isolement ne font donc l’objet d’aucune forme de surveillance.
Les membres du Comité consultatif ministériel ont fait part de leurs préoccupations sur l’isolement à l’extérieur des unités d’intervention structurée, notamment « [...] une unité entière [...] hébergeant des détenus dans ce qui ne peut être décrit que comme un isolement cellulaire ». Ils se sont également dits extrêmement préoccupés par le fait qu’au sein des unités d’intervention structurée, ils ont remarqué :
[...] qu’il y avait parfois plus de prisonniers physiquement dans l’[unité d’intervention structurée] que ce qui figurait dans les dossiers officiels du « dénombrement » de l’[unité d’intervention structurée] le jour de leur visite.
Le rapport final du Comité consultatif ministériel souligne que les « [unité d’intervention structurée] sont sans doute les espaces les plus surveillés d’un pénitencier canadien ». Pourtant, puisque la supervision de ces unités est extrêmement limitée, les conditions s’y apparentent trop souvent à de la torture. Si les conditions dans les [unité d’intervention structurée] sont considérées comme de la torture, ces abus courants qui sont faits au vu et au su de tous devraient augmenter notre inquiétude au plus haut point par rapport à ce qui se passe dans les autres zones d’isolement des prisons, puisqu’elles ne font l’objet d’aucune supervision.
Les quelques cas qui font la une des journaux nous donnent une idée de la culture des violations des droits de la personne dans les prisons canadiennes. En mars dernier, une juge a publié son rapport final dans le cadre de l’enquête sur la mort de Mason Montgrand, un jeune détenu autochtone, qui est survenue à l’Établissement d’Edmonton, un pénitencier fédéral. M. Montgrand, qui était âgé de 21 ans, est mort en 2011 après que des gardiens l’ont laissé sortir de sa cellule en même temps qu’un autre détenu appartenant à un gang rival. Sa mort a fait l’objet d’une enquête policière sur l’existence d’un club de combat dans la prison : des membres du personnel de la prison auraient forcé des détenus sous leur garde à se battre entre eux, ce qui leur a causé des blessures graves, voire la mort. La police a fortement recommandé d’accuser deux agents et un gestionnaire correctionnels de meurtre et de négligence criminelle, mais les procureurs ont refusé de porter des accusations.
Près de 15 ans plus tard, la juge présidant l’enquête sur cette mort a expliqué que les autorités faisaient toujours preuve d’un manque de transparence quant à ce qui est arrivé à M. Montgrand et qu’elle s’était vu refuser à plusieurs reprises l’accès à certaines informations. Elle a réclamé une enquête publique afin de faire la lumière sur ce qu’elle a qualifié de « question d’intérêt public ».
À peu près au même moment, le Toronto Star a publié une vidéo montrant des gardiens commettant des violations flagrantes des droits de la personne à l’encontre de 200 hommes à la prison provinciale Maplehurst, en Ontario. La vidéo montre le surintendant de la prison qui félicite les gardiens violents en leur faisant un poing à poing.
Apparemment, ces représailles collectives constituaient la réplique du personnel au fait qu’un seul détenu aurait frappé un gardien le 20 décembre 2023. Deux jours plus tard, le directeur a décidé de lâcher des gardiens formés pour les émeutes sur des détenus tranquilles qui étaient enfermés dans leur cellule et qui ne se doutaient de rien. Les gardiens les ont soumis à une fouille à nu, utilisant leurs pouces comme des manches à balai pour les faire sortir des cellules. Ils ont fracturé le pouce d’au moins un homme et le poignet d’un autre, et ils ont forcé les détenus à s’asseoir face au mur vêtus de leurs seuls sous-vêtements et avec des armes pointées sur leur tête. Ils les ont ensuite confinés dans des cellules vides et fait circuler de l’air froid dans les conduits de ventilation. Les détenus ont dû attendre la veille de Noël pour qu’on leur donne des vêtements.
Environ 80 % des hommes maltraités à l’établissement de Maplehurst étaient en attente de leur procès et n’avaient encore été reconnus coupables d’aucune infraction criminelle. Le Toronto Star a pu confirmer que, dans au moins 11 cas, la peine a été réduite et que, dans un autre, les accusations ont été carrément abandonnées, ajoutant au passage qu’au total, plus d’une centaine d’affaires pourraient être en cause. Selon le quotidien, l’avocat de la Couronne dans une de ces affaires a dit au tribunal qu’il avait donné son accord à une entente de plaidoyer en échange de quoi le prévenu ne passerait pas davantage de temps en prison parce que, même si, en temps normal, il aurait « indéniablement [...] requis une peine plus sévère, [...] il n’y avait aucun moyen “d’échapper” aux violations commises par la prison ».
Grâce à la loi de Tona, le gouvernement fédéral pourrait donner l’exemple et affirmer clairement que la reddition de comptes à laquelle les Canadiens sont en droit de s’attendre de la part des autorités pénales et carcérales doit découler et s’inspirer des comportements des personnes en position d’autorité, surtout quand il est question de la prise en charge de la vie d’autrui.
Très peu de choses ont changé depuis « certains événements » bien connus qui se sont produits à la prison pour femmes de Kingston il y a maintenant 31 ans. Après avoir été placées en isolement et privées d’eau, de nourriture et de vêtements et empêchées d’appeler leurs avocats, le 26 avril 1994, les détenues de cet établissement ont été tirées de leur cellule par une escouade antiémeute composée entièrement d’hommes, qui les ont forcées — en toute illégalité — à se dénuder et les ont menottées avant de les enfermer dans une cellule d’isolement avec pour seuls vêtements une mince robe de papier attachée au cou. La majorité de ces femmes étaient autochtones.
On sait aujourd’hui que l’atteinte aux droits de la personne et aux droits garantis par la Charte de ces femmes est inacceptable et qu’il s’agit d’une grande manifestation arbitraire de force masculine exercée sans pratiquement aucune résistance. J’ai été la première personne qui ne faisait pas partie du personnel de l’établissement ou qui n’avait aucun rapport professionnel avec les prisons à rencontrer ces femmes après les événements. Les agents carcéraux me disaient alors que j’avais été mal informée sur ce qui s’était passé. On me conseillait, on cherchait à m’amadouer, puis on m’avertissait de ne pas me faire avoir aussi facilement.
La pression exercée pour que je me rétracte s’est intensifiée et, au cours de l’année suivante, on a mis en doute mon intégrité à maintes reprises et j’ai souvent risqué de perdre mon emploi, jusqu’à la diffusion des événements à l’émission The Fifth Estate. Les vidéos diffusées prouvaient la véracité des allégations faites par ces femmes et, par extension, par moi.
Les mauvais traitements dans les prisons dont on entend parler sont souvent qualifiés par les autorités correctionnelles d’exceptionnels ou d’exagérés. Or, ils ne le sont malheureusement pas.
Les prisons étant essentiellement des lieux fermés, la population n’est jamais informée de la plupart des mauvais traitements qui s’y produisent. L’oppression et les atteintes systémiques aux droits de la personne sont rarement montrées aux non-détenus comme nous. Trop peu de gens savent ce qui se passe dans les prisons canadiennes et, encore, un petit nombre d’entre eux sont crus lorsqu’ils essaient d’en parler. Vous êtes d’ailleurs nombreux à en avoir été témoins : même les juges et les parlementaires ont du mal à obtenir des réponses des responsables des prisons. Les mauvais traitements existent précisément en raison des mesures déficientes de surveillance, de transparence et de reddition de comptes.
Qu’est-ce que la loi de Tona changerait? Premièrement, elle mettrait enfin en œuvre le contrôle judiciaire des décisions visant à isoler les prisonniers, que Louise Arbour a recommandé il y a près de trois décennies après avoir présidé la commission d’enquête en réponse aux événements survenus à la Prison des femmes de Kingston.
La loi de Tona obligerait les autorités carcérales à demander l’approbation d’une cour supérieure afin de garder une personne en isolement pendant plus de 48 heures. Ce plafond tient compte des données les plus récentes, reconnues notamment par la Cour d’appel de l’Ontario, sur le moment où une personne peut commencer à souffrir de préjudices physiques, psychologiques et neurologiques irréparables.
Deuxièmement, si la mauvaise gestion par les services correctionnels a rendu la peine d’une personne plus punitive, par exemple en raison de longues périodes d’isolement, cette personne peut demander au tribunal qui l’a reconnue coupable de réduire sa peine ou sa période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.
À l’heure actuelle, si des abus se produisent avant qu’une peine ne soit prononcée, comme je l’ai déjà mentionné au sujet de Maplehurst, le Code criminel permet aux juges de réduire la durée de la peine en conséquence. Dans l’arrêt Hills de 2023, la Cour suprême du Canada a rappelé aux juges que lorsqu’ils ordonnent une peine, ils doivent également tenir compte de ce qu’une personne vivra en prison, y compris de la façon dont des facteurs tels que le statut d’Autochtone, la race, la santé mentale et la santé physique peuvent entraîner des conditions plus dures et plus punitives.
Mais qu’en est-il des conditions d’isolement que le juge n’a pas prévues? La loi de Tona comblerait cette lacune, comme l’a recommandé Louise Arbour. Elle permettrait d’utiliser un aménagement de peine comme recours en cas de violation des droits d’un détenu. Ce type de recours existe dans plusieurs pays d’Europe du Nord et de l’Ouest, ainsi que dans notre système de justice pour mineurs.
Troisièmement, étant donné que l’isolement se produit également en dehors des unités d’intervention structurée, la loi de Tona garantirait que la surveillance judiciaire et toutes les autres mesures de protection applicables s’étendent à toutes les conditions d’isolement, c’est-à-dire chaque fois qu’une personne se trouve dans des conditions plus restrictives que celles de la population générale.
Lorsque le Sénat a voté pour adopter la dernière version de la loi de Tona, il l’a fait en s’appuyant sur des témoignages d’experts en faveur d’un contrôle judiciaire, notamment ceux de l’Association canadienne du droit carcéral, de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, de la Société John Howard du Canada, de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, de la Criminal Lawyers’ Association, de la Société de la côte Ouest pour la justice dans les prisons, de l’Association des femmes autochtones du Canada, de l’Association des avocats noirs du Canada, de la Commission de la santé mentale du Canada, d’Adelina Iftene, de l’avocat Michael Spratt, et de Michael Jackson, professeur émérite et expert en droit carcéral.
(1620)
Le professeur Jackson a conclu, après un demi-siècle de travail sur l’arbitrage indépendant, que l’intervention des tribunaux était le seul moyen de remédier à ce problème. Il a dit que le Service correctionnel du Canada, ou SCC, « a farouchement résisté à tout arbitrage indépendant sur l’isolement ».
Il a également dit :
[...] à la lumière des expériences collectives — près de 50 ans de rapports — au cours desquelles le SCC a exprimé ses réticences, la surveillance judiciaire constitue à ce stade la mesure corrective qui convient.
En réponse aux préoccupations concernant la capacité des tribunaux à traiter un grand nombre de demandes, l’expert en droit pénal Michael Spratt a indiqué que les tribunaux se montreraient à la hauteur du défi, comme ils le font pour des mécanismes tels que les révisions des mises en liberté sous caution, qui concernent un grand nombre de demandes à traiter dans des délais très courts, dans le but de préserver les droits garantis par la Charte.
Il a ajouté que l’obligation de saisir le tribunal après 48 heures d’isolement cellulaire contribuerait à dissuader le Service correctionnel du Canada de maintenir inutilement des personnes en isolement.
La loi de Tona peut permettre d’économiser des ressources et de sauver des vies. Comme l’a reconnu le directeur parlementaire du budget, la réduction du nombre de personnes placées dans les unités d’intervention structurée permettrait d’économiser des centaines de milliers de dollars par personne et par an. En outre, le gouvernement a versé des dizaines de millions de dollars en dommages et intérêts aux personnes dont les droits ont été enfreints par son ancien système de ségrégation, et il est maintenant confronté à des recours collectifs similaires pour contester son régime d’unités d’intervention structurée de 2019.
Au cours des derniers mois, la Cour suprême du Canada a dénoncé l’utilisation inconstitutionnelle et punitive de l’isolement cellulaire dans les prisons provinciales — une situation qui aurait pu être évitée grâce au leadership du gouvernement fédéral et à la mise en place d’une version provinciale de la loi de Tona.
Dans une autre affaire, la cour a souligné que l’État peut être tenu de verser des dommages-intérêts fondés sur la Charte si le Parlement a promulgué une loi qui est clairement inconstitutionnelle.
Lorsque nous avons débattu du projet de loi C-83, en 2019, des experts nous ont avertis que le projet de loi n’était pas conforme à la Charte. L’analyse des données du gouvernement par le comité consultatif du ministre a depuis confirmé qu’on a encore recours à un isolement cellulaire inconstitutionnel.
En limitant le recours à l’isolement dans les prisons fédérales, la loi de Tona propose également des solutions de rechange cruciales pour les personnes les plus à risque d’être placées dans des unités d’intervention structurée.
Pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale invalidants, la loi de Tona élargirait les dispositions actuelles autorisant le Service correctionnel du Canada à transférer des détenus vers des établissements de santé provinciaux ou territoriaux, y compris pour des raisons de santé mentale. On inclurait notamment l’obligation d’autoriser un tel transfert lorsqu’une personne souffre d’un problème de santé mentale invalidant.
Comme on l’a mentionné, la loi de Tona comprend un renvoi explicite pour indiquer que ce sont précisément les mêmes critères établis dans les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition relatives aux unités d’intervention structurée, à l’article 37.11, qui seraient utilisés pour aider à déterminer s’il y a un problème de santé mentale invalidant.
Bien que la possibilité de transférer des personnes en dehors de la prison existe depuis longtemps, on le fait trop rarement pour répondre à un problème de santé mentale. Malgré les nombreux éléments de preuve indiquant que les services correctionnels s’en remettent souvent aux systèmes de sécurité, même dans les cas où on détermine que les besoins thérapeutiques sont une priorité, le Service correctionnel du Canada continue d’investir des ressources en indiquant explicitement que le but est de fournir des traitements en santé mentale, sans toutefois offrir ces traitements dans les prisons par la suite.
Lorsque nous avons adopté le projet de loi en décembre, j’ai parlé d’une affaire de la Cour supérieure de l’Ontario concernant M. Warren, dont les problèmes de santé mentale invalidants ont conduit à une série de condamnations pour incendie criminel et à une désignation de délinquant dangereux. La juge Pomerance a fait référence à la loi de Tona et ordonné que M. Warren purge sa peine dans un hôpital. M. Warren était condamné à une peine de durée indéterminée et la juge Pomerance a reconnu qu’en prison il serait condamné à l’isolement à vie, sans espoir de traitement adéquat ni de possibilité de travailler à son intégration dans la communauté. Elle a jugé que l’incarcération violerait ses droits garantis par la Charte.
Au cours de l’année qui a suivi cette décision, M. Warren, comme trop d’autres, a langui dans des conditions d’isolement à la prison de Millhaven, à Kingston. Entretemps, tandis que le gouvernement fait appel de la décision de la juge Pomerance, Service correctionnel Canada défie l’ordonnance en contactant les hôpitaux médico-légaux gérés par la province, en leur demandant s’ils ont une place pour une personne désignée délinquant dangereux et en n’offrant aucune ressource pour soutenir son traitement. Ces tentatives tout à fait irresponsables visant à saper la directive de la juge Pomerance sont à la fois répréhensibles et, malheureusement, prévisibles.
Parallèlement, il faut aussi aller voir ce que Service correctionnel Canada a fait avec les ressources qui lui ont été affectées pour qu’il conclut des contrats avec les provinces pour des lits de soins en santé mentale. Pour ce qui est du projet de loi C-83, SCC a reçu annuellement au moins 74 millions de dollars de fonds publics pour répondre aux besoins des détenus en santé mentale. Les représentants de SCC ont déclaré devant le Comité des affaires sociales et le Comité des droits de la personne qu’une partie de ce financement — la somme de 9,2 millions de dollars a été évoquée — a été réservée aux contrats visant à obtenir les lits externes de soins en santé mentale dont M. Warren et bien d’autres personnes ont besoin de toute urgence. Or, dans les faits, SCC n’a conclu des contrats pour aucun nouveau lit. De plus, il a fourni des réponses incohérentes ou trompeuses aux demandes d’information concernant l’usage qui a été fait de ces fonds.
La loi de Tona obligerait SCC à financer et à soutenir adéquatement les services communautaires de santé mentale. En plus d’être moins cruelle et plus efficace pour les prisonniers, elle permettrait aussi de sauver des vies et d’économiser de l’argent. Selon les données du directeur parlementaire du budget, le financement d’un lit dans un hôpital de psychiatrie médicolégale entraînerait, en raison des coûts faramineux de l’isolement, des économies annuelles d’environ 100 000 $ par personne.
En permettant aux gens d’obtenir des traitements adéquats, ces mesures contribueraient aussi à améliorer la santé mentale de bien des détenus et réduiraient à long terme la pression exercée sur les services de santé mentale.
En l’absence de la loi de Tona, le Service correctionnel du Canada redouble d’efforts pour mettre en œuvre des mesures coûteuses et inefficaces en matière de santé mentale. Quelques jours seulement après l’adoption de la loi de Tona par le Sénat, le Service correctionnel du Canada a annoncé qu’il ne suivrait pas les directives des tribunaux ni celles d’innombrables experts en santé mentale et en reddition de comptes. Au lieu de cela, le Service correctionnel du Canada prévoit de construire ce qu’il appelle un centre d’excellence en santé dans la prison où des membres du personnel ont été accusés d’homicide involontaire à la suite du décès d’un homme souffrant de troubles mentaux après « [...] de multiples recours à des mesures de contention physique ou chimique inutiles et inappropriées ».
La loi de Tona vise aussi à redonner vie aux solutions de rechange à l’isolement pour les Autochtones et les autres groupes marginalisés, étant donné qu’à cause de la discrimination systémique et du colonialisme, les femmes autochtones et les autres personnes qui ont le plus besoin de soutien communautaire et de liens avec la communauté se retrouvent trop souvent en prison, où elles sont étiquetées comme étant à risque, puis enfermées dans des unités d’intervention structurée.
La loi de Tona vise à élargir l’accès aux articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui permettent aux prisonniers d’être transférés et remis aux soins et à la garde des communautés autochtones, comme l’ont notamment demandé à maintes reprises l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la Commission de vérité et réconciliation, l’Association des femmes autochtones du Canada, deux comités de la Chambre des communes, le Bureau de l’enquêteur correctionnel et la Commission canadienne des droits de la personne.
La loi de Tona vise en outre à élargir l’utilisation de ces dispositions, notamment en permettant à Service correctionnel Canada de conclure des accords de prise en charge et de garde par la collectivité avec d’autres types d’organismes communautaires offrant leurs services aux populations qui sont surreprésentées dans les prisons fédérales pour cause d’inégalité systémique, comme les Canadiens noirs et les membres de la communauté 2ELGBTQI+.
Quand le Sénat a amendé le projet de loi C-83, qui sert maintenant de pierre d’assise à la loi de Tona, notre regretté collègue, mentor et ami, le sénateur Murray Sinclair, a déclaré ce qui suit en même temps qu’il expliquait pourquoi il soutenait ce texte législatif :
[Pendant les] audiences de la Commission de vérité et réconciliation [...] nous avons [...] fait le plus grand nombre de visites possibles dans les anciens pensionnats indiens qui existaient encore. Dans chaque bâtiment, il y avait une petite salle, située le plus souvent sous l’escalier, où les pensionnaires étaient enfermés lorsqu’ils n’écoutaient pas ce que les enseignants leur disaient. Dans chacune de ces petites salles, qui, dans certains cas, ne faisaient pas plus de deux ou trois pieds de hauteur, on pouvait voir des égratignures sur les murs, parfois même des taches de sang, là où les enfants grattaient les parois pour essayer de sortir ou de laisser une trace de leur présence.
En avril, je me suis rendu sur les lieux du pensionnat de l’Institut mohawk des Six-Nations, surnommé le « Mush Hole », ou « trou à bouillie ». J’y ai vu le placard d’isolement sous l’escalier décrit par le sénateur Sinclair, et cette image fait partie de celles qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire.
Pour de trop nombreux enfants et communautés autochtones, les pensionnats ont marqué le début de l’isolement cellulaire, des retraits forcés et de l’institutionnalisation massive que leur font subir encore aujourd’hui les services d’aide à l’enfance et les autorités carcérales.
La loi de Tona facilitera le transfert des détenus, des ressources financières et des droits inhérents à l’autodétermination des autorités pénales aux communautés autochtones et aux Premières Nations.
(1630)
En avril prochain, cela fera trente ans que la juge Louise Arbour a demandé que l’isolement fasse l’objet d’une surveillance judiciaire, et la loi de Tona permettrait d’enfin donner suite à cette demande. Dans le cadre de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, la juge Arbour a insisté pour que les femmes qu’elle rencontrait ne soient pas menottées et puissent participer le plus pleinement possible aux audiences. Elle a démontré la nécessité légale et morale de garantir la reconnaissance de l’humanité et des droits de la personne. En agissant ainsi, elle a mis en évidence la nécessité d’une surveillance judiciaire et l’importance de faire respecter la primauté du droit et les droits fondamentaux des prisonniers.
Lorsque la juge Arbour a présenté son rapport sur ce qui était arrivé aux femmes en 1994, une femme était toujours en isolement. Les autorités carcérales insistaient sur le fait qu’elle devait être entièrement menottée ou enchaînée à un lit ou au sol afin d’assurer la sécurité du personnel. Elles avaient créé une ouverture spéciale dans une porte afin de pouvoir lui retirer ses menottes lorsqu’elle rencontrait une femme que le Service correctionnel du Canada qualifiait d’« idiote assez stupide pour la rencontrer sans qu’elle soit attachée ». La femme en isolement était Tona, et l’idiote qui insistait pour la rencontrer sans qu’elle soit attachée, c’était moi.
Les conditions d’isolement auxquelles Tona a été soumise ont contribué à alimenter les conclusions et les recommandations de Louise Arbour dans son rapport à la suite de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston. Plus de 30 ans plus tard, Tona s’efforce toujours de mettre fin à la pratique de l’isolement cellulaire, non pas pour elle-même, mais pour beaucoup d’autres qui ont survécu, et pour ceux qui n’ont pas survécu.
Nous vivons un moment où les droits de la personne semblent précaires. C’est aussi un moment où nous ressentons plus que jamais leur importance. Comme l’ont si bien exprimé de nombreux dirigeants autochtones, le temps est venu de se tourner vers ceux qui n’ont jamais pu considérer ces droits comme acquis et qui s’efforcent constamment de les renforcer et de les protéger, pour apprendre d’eux, travailler avec eux et les encourager.
Nelson Mandela, qui a lui-même survécu à l’isolement, nous a rappelé ce qui suit : « Personne ne peut prétendre connaître vraiment une nation, à moins d’avoir vu l’intérieur de ses prisons. »
Tona dit qu’elle rêve souvent qu’elle est encore en isolement parce que cette période est gravée profondément dans sa mémoire. Les souvenirs que j’ai de sa torture, ainsi que de celle de tant d’autres, me font surtout vibrer de rage et de désespoir, puis me poussent à agir. Tona est l’une des nombreuses personnes que j’ai connues et qui ont à peine survécu — d’autres sont mortes — après avoir été soumises à la torture de l’isolement cellulaire, une torture sanctionnée par l’État.
Tout comme Ashley Smith, dont le décès en cellule d’isolement en 2007 a été qualifié d’homicide, Tona a été poussée à la folie par la prison. Contrairement à Ashley, elle n’est heureusement pas morte en isolement dans une prison fédérale, mais elle en est sortie gravement traumatisée et avec des séquelles irréversibles. Tona a exhorté tous ceux qui voulaient bien l’écouter à « mettre fin à l’isolement pour tous, partout ».
Les sénateurs l’ont entendue et ont présenté la loi de Tona. Tona ne verra peut-être jamais les résultats du projet de loi qu’elle a inspiré.
Si nous bâtissons une communauté dotée de systèmes sociaux, économiques et de santé solides, nous pouvons mener la décolonisation, mettre fin à la judiciarisation et cesser le recours à la détention; nous avons le devoir de le faire. Mettre fin à la pratique de l’isolement n’est qu’un pas dans cette direction. Chers collègues, travaillons ensemble pour adopter la loi de Tona et la renvoyer à l’autre endroit. Travaillons dans un esprit de solidarité pour un avenir plus juste et plus équitable auquel tous les Canadiens peuvent aspirer.
Meegwetch, merci.
L’honorable Rosemary Moodie : J’aurais une question pour l’honorable sénatrice, si elle accepte d’y répondre. Vous avez souvent parlé de la nécessité de mettre fin à l’incarcération en masse des Canadiens noirs, et notamment au recours à l’isolement pendant leur détention.
Pouvez-vous, s’il vous plaît, expliquer en quoi la loi de Tona pourrait contribuer à l’atteinte des objectifs de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires?
La sénatrice Pate : Oui. Mettre fin à l’incarcération en masse a notamment pour objectif de renforcer les communautés. Les articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition contiennent déjà des dispositions qui permettraient leur application aux prisonniers autochtones ainsi qu’à d’autres, comme les prisonniers noirs. Étant donné que les chiffres augmentent, nombreux sont ceux qui ont mentionné la nécessité de considérer l’alinéa 718.2e) du Code criminel, ce que l’on appelle les rapports Gladue, et d’envisager les types de soutien culturel qui pourraient être disponibles ainsi que d’élaborer ce genre de modèles pour les prisonniers noirs.
L’honorable Bernadette Clement : Je vous remercie, sénatrice Pate, pour votre rage et votre désespoir, et pour votre travail. Je vous en suis très reconnaissante.
J’ai lu avec horreur cette semaine dans la presse que deux anciens agents correctionnels se sont ôté la vie après avoir dit qu’ils avaient été victimes de harcèlement à l’établissement fédéral de Joyceville. C’est difficile à imaginer. Si les agents correctionnels sont victimes de harcèlement, il est difficile d’imaginer ce que subissent les personnes incarcérées. Ils m’ont signalé, aussi, que les personnes incarcérées subissent de l’intimidation et des mauvais traitements.
Je me demande ce dont vous avez été témoin et comment la loi de Tona aidera le personnel et les personnes incarcérées dans ce genre de situation?
La sénatrice Pate : Je vous remercie pour cette question.
Effectivement, j’ai reçu de nombreux appels de gens qui ont travaillé avec les deux personnes qui se sont suicidées. L’une des choses que le Comité des droits de la personne n’a pas pu inclure dans son rapport, c’est que, dans toutes les prisons que nous avons visitées, des membres du personnel souhaitaient nous rencontrer à huis clos par crainte de représailles si quelqu’un apprenait qu’ils nous avaient rencontrés. Vous avez entendu parler de certains de ces endroits, Edmonton et Millhaven, par exemple. Partout où nous sommes allés, nous avons eu des rencontres privées avec des membres du personnel. Nous ne pouvions pas les inclure dans notre rapport puisque seuls les témoignages livrés dans le cadre de réunions publiques peuvent être utilisés pour appuyer nos conclusions. De nombreux membres du personnel, dont certains aussi récemment que la semaine dernière, m’ont appelée pour signaler des incidents, soutenant que si nous mettons en place des mesures de protection pour les prisonniers, il est fort probable que les membres du personnel se traiteront également mieux les uns les autres.
La loi en soi n’oblige pas les membres du personnel à se traiter mieux les uns les autres. Nous présumons que c’est ce qui arrivera. Cela dit, c’est certainement ce que j’entends de la part de gens qui travaillent dans les établissements, c’est-à-dire qu’une partie de la solution consiste à montrer l’exemple par son propre comportement. Comme je l’ai dit maintes fois, pas nécessairement dans cette enceinte, mais dans d’autres tribunes publiques, si les membres du personnel se traitent ainsi entre eux, on peut seulement imaginer comment ils traitent les prisonniers.
L’honorable Colin Deacon : Je vous remercie de votre discours, sénatrice Pate. Je ne suis pas un grand partisan des projets de loi d’intérêt public du Sénat, mais je vous remercie d’avoir présenté un projet de loi sur la loi de Tona. Je ne vois pas d’autre voie pour faire avancer cette cause pour laquelle vous vous battez depuis si longtemps. Tous ceux d’entre nous qui préconisent des politiques publiques appropriées, efficaces et rentables se soucient de cette question.
J’ai seulement deux questions à vous poser. Vous pouvez y répondre brièvement ou plus longuement.
Premièrement, dans le système pénitentiaire fédéral, quel est le pourcentage des détenus qui finissent par être libérés? J’ai l’impression que c’est 99 % ou quelque chose comme cela. Par conséquent, ce que l’on fait dans les prisons finit par avoir des répercussions à l’extérieur de celles-ci. C’est vraiment ce que je tiens à examiner.
Deuxièmement, du point de vue de la gestion des processus, à quel point les choses doivent-elles mal tourner dans le cadre du processus pour qu’on en arrive à placer quelqu’un en isolement? Qu’on parle d’unités d’intervention structurée ou d’isolement, il s’agit bel et bien d’isolement. Il y a forcément eu de nombreux moments où, du point de vue de la gestion des processus, on aurait pu prendre une décision différente pour éviter d’en arriver là. Pouvez-vous également nous parler de ce point?
La sénatrice Pate : Il est vrai que la grande majorité des détenus réintègrent la société, mais pas tous. Nous connaissons probablement ceux qui ne reverront jamais la lumière du jour — et nous pouvons sans doute les compter sur les doigts d’une main —, même si, sur papier, ils pourraient un jour être admissibles à une libération. En fait, pendant la pandémie, M. Tony Doob, qui était initialement le président, puis membre, du groupe consultatif ministériel qui a été dissous, a dit que, chaque mois, au moins 5 000 détenus sont libérés au Canada. Lorsqu’on prend conscience de ces chiffres et qu’on sait qu’ils n’entraînent pas les vagues de criminalité qu’on nous décrit souvent, on réalise que de nombreuses personnes réintègrent la société.
Toutefois, pour répondre à votre question, qui porte sur les raisons pour lesquelles les gens se retrouvent en isolement, j’aimerais pouvoir dire qu’il s’agit d’un processus clair, mais ce n’est pas le cas. Lorsqu’on examine le système de classification, les types de mesures de soutien qui sont en place et les éléments de preuve qui sont présentés devant un tribunal, on constate que ces facteurs peuvent déterminer en grande partie le traitement qui sera réservé à une personne après son incarcération. Les personnes ayant des troubles de santé mentale se retrouvent presque toujours en isolement. C’est rarement à cause d’employés malveillants. Parfois oui, mais ce n’est pas la principale raison. Si ces personnes se retrouvent en isolement, c’est surtout parce qu’il s’agit de l’endroit où on peut les observer le plus facilement. De nombreux employés m’appellent pour me demander ce que nous pourrions faire d’autre. Souvent, nous arrivons à trouver quelque chose.
En fait, tout juste avant que je sois nommée sénatrice, nous travaillions, en collaboration avec la Commission des droits de la personne, à l’élaboration d’un plan qui permettrait de trouver une solution de rechange à l’isolement dans l’ensemble des établissements carcéraux pour femmes. Il ne restait plus que cinq femmes. Selon ce plan, aussitôt que les établissements jugeraient nécessaire d’isoler une détenue, un avis serait transmis aux organismes concernés, comme l’Association des femmes autochtones, le Réseau des femmes handicapées du Canada, ainsi que notre organisation, les Sociétés Elizabeth Fry, où je travaillais à l’époque, et la Commission des droits de la personne, qui pourraient alors intervenir et proposer un plan personnalisé.
(1640)
Nous savons aussi que, dans le projet de loi que l’ancien gouvernement de l’Ontario avait proposé et qui n’a pas encore été adopté, on projetait de commencer par retirer les unités d’isolement d’au moins quatre prisons fédérales. Le gouvernement avait alors appris du système de justice pour les adolescents qu’en interdisant cette possibilité, on favorisait en fait la création d’autres solutions.
Nous ne savons pas à quel point le personnel est capable de créativité si nous insistons pour que cet outil ne soit pas nécessairement le premier mis à sa disposition. Encore une fois, il ne l’utilise pas par malveillance, mais parce qu’il craint vraiment que les détenues se blessent. J’ai déjà donné l’exemple de gardiens qui me disaient, alors que je portais ma fille — aujourd’hui adulte — dans un porte-bébé et qu’il se passait quelque chose dans la prison : « Pourquoi ne descendez-vous pas les visiter? On nous dit qu’elles aiment beaucoup le bébé. » Pendant ce temps, ils envisageaient de mettre tout ce groupe de femmes en isolement en faisant appel à une équipe d’intervention d’urgence — essentiellement une escouade antiémeute — pour les réprimer. Donc, même dans ces cas, si le personnel ne voit pas qu’il a d’autres options à sa disposition, il lui est très difficile d’utiliser ces options. C’est à ce moment-là que nous avons tous compris à quel point il ne fallait parfois pas grand-chose pour adopter une approche différente, mais aussi à quel point c’est difficile lorsque ce n’est pas ce qu’on nous encourage à faire ou que les outils pour le faire ne sont pas à notre disposition.
L’honorable Marty Klyne : La sénatrice Pate accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Pate : Oui.
Le sénateur Klyne : Selon ce que je me rappelle, les objectifs et les visées du projet de loi C-83 étaient essentiellement bons. La vision qu’il portait, c’est que, si l’on suivait le chemin tracé, il permettrait d’apporter les améliorations devenues nécessaires aux règles d’isolement cellulaire qui avaient cours avant son adoption. Je me souviens que, pendant la dernière série de questions aux témoins experts, la commissaire était présente, et c’est à ce moment que j’ai compris que, pour réussir, tout bon plan doit être mis en œuvre et exécuté comme prévu au départ et être assorti des ressources prévues. Il faut ensuite poursuivre sur la même lancée et faire en sorte que la culture de l’organisation puisse accueillir le changement et que le tout soit soutenu par une bonne stratégie.
Imaginez notre déception quand nous nous sommes rendus sur place et que ce qui s’y passait vraiment n’avait rien à voir avec ce que nous avions imaginé. Nous n’avons pas vu les ressources qui auraient dû être déployées. La culture ambiante et la structure en place, ou la stratégie, n’étaient aucunement favorables.
Nous y revoici de nouveau. Le projet de loi C-83 a été modifié. Il l’a été de nouveau par la suite, et nous nous apprêtons à le modifier encore une fois. La faute en est à la personne en position d’autorité — en l’occurrence la commissaire — et à quiconque doit voir à ce que les services et les programmes requis soient bel et bien offerts. Un trop grand nombre de détenus aimeraient s’inscrire à ces programmes, mais en sont incapables. Alors dites-moi : en quoi votre projet de loi obligera-t-il les gens en haut de la pyramide à rendre des comptes? Quelles sanctions prévoit-il? Il doit y avoir des conséquences pour ceux qui ne donnent pas suite à leurs engagements.
Son Honneur la Présidente : Sénatrice Pate, le temps alloué au débat est expiré. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question du sénateur Klyne?
La sénatrice Pate : J’aimerais avoir plus de temps.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre question, sénateur Klyne. Je vous remercie aussi pour le travail que vous avez accompli sur ce projet de loi et, point extrêmement important, pour avoir ensuite assuré le suivi et veillé à ce que votre personnel soit disponible. Un ancien membre de votre équipe a d’ailleurs communiqué avec moi hier soir à propos de ce projet de loi.
Je pense que le professeur émérite Michael Jackson a très bien exprimé l’un des défis lorsqu’il a déclaré avoir passé 50 ans à chercher des moyens de contribuer à la réforme du système correctionnel et à mettre en place, au sein de ce système, des politiques et des mécanismes susceptibles de favoriser le genre de changement de culture qui s’est produit. Beaucoup de gens, dont moi, savent qu’il arrive parfois qu’un champion parvienne à changer les choses pendant un certain temps dans n’importe quelle institution, y compris les prisons. Il y a maintenant 30 ans que la juge Arbour a fait cette recommandation. Elle y voyait l’un des rares moyens de forcer un changement. Comme l’ont souligné des avocats et comme le savent d’autres personnes, l’un des objectifs du système correctionnel était d’éviter la surveillance judiciaire et d’éviter que la Cour suprême du Canada ne rende une décision qui permettrait de régler certains des problèmes que la loi de Tona tente de résoudre. La surveillance judiciaire est l’un des moyens de rendre un dossier public. À l’heure actuelle, nous comptons sur les services correctionnels pour le produire. J’ai été bouleversée d’apprendre que la juge chargée d’enquêter sur la mort de ce jeune homme n’a toujours pas accès aux documents, 15 ans après le décès. Nous entendons sans cesse parler de situations comme celle-là.
J’étais dans une salle d’audience la semaine dernière. Le procureur de la Couronne m’a demandé où j’avais eu accès à des documents auxquels le procureur aurait dû avoir accès. Je pense que l’une des seules façons de changer les choses est d’insister pour qu’il y ait une supervision judiciaire et que les tribunaux soient saisis de ces affaires, mais aussi de prévoir des recours potentiels pour ceux qui ont été lésés. Merci.
(Sur la motion du sénateur Carignan, le débat est ajourné.)
[Français]
Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Julie Miville-Dechêne propose que le projet de loi S-209, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi que je marraine depuis plus de quatre ans et demi au Parlement : la Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel pornographique, qui porte cette fois le numéro S-209. Cette initiative, qui vise à protéger les enfants, est morte au Feuilleton deux fois déjà. Au moment de la prorogation en janvier dernier, mon projet de loi était presque en fin de course, à l’étape du rapport, juste avant la troisième lecture à la Chambre des communes. Il avait obtenu l’appui du Parti conservateur, du Bloc québécois, du NPD et de cette Chambre deux fois de suite, dont une fois sans opposition.
La déception a donc été grande pour bien des parents, de nombreux groupes et des pédiatres.
Il y a un an, 77 % des Canadiens sondés par la firme Léger étaient d’accord avec une vérification de l’âge pour empêcher les enfants d’avoir accès à la porno en ligne. C’est pour eux que je continue, pour qu’ils soient entendus au Parlement.
Je reviens à la charge, car le statu quo est intenable : des enfants de 8 ans, de 12 ans ont accès, sans aucune barrière, à des millions de vidéos pornos hardcore, souvent violentes et traumatisantes.
L’âge moyen de la première exposition est de 11 ans. La réalité de la porno en ligne a changé il y a une quinzaine d’années, quand les plateformes ont modifié leur modèle d’affaires pour permettre à n’importe qui de téléverser des vidéos sur leur site et de rendre ce contenu gratuit et accessible à tous. Toutes les barrières à l’accès ont disparu.
Le gouvernement canadien a laissé faire, alors que la recherche montre des corrélations inquiétantes entre l’usage de la porno chez les mineurs et des croyances et comportements sexuels préjudiciables, une croyance erronée selon laquelle les femmes et les filles sont toujours disponibles sur le plan sexuel, des attitudes et des croyances néfastes concernant le consentement sexuel et une banalisation des comportements violents.
(1650)
De plus, toujours selon le réputé Centre canadien de protection de l’enfance, la consommation de pornographie chez les mineurs normalise ces images à leurs yeux, et les enfants sont ainsi plus susceptibles d’être victimes de prédateurs sur Internet. Voici un exemple troublant : la moitié des jeunes filles et garçons âgés de 16 à 21 ans interrogés dans une enquête de la commissaire britannique à l’enfance affirment que les filles s’attendent à ce que la sexualité inclue des agressions physiques, comme l’étouffement ou les claques.
Dans un documentaire français sur l’usage problématique de la pornographie, une jeune femme raconte ce qui suit :
À neuf ans, je pourrais clairement dire que je regardais de la porno tous les jours [...] Comme mon père ne m’aimait pas [...] ça m’a poussé à me dire qu’en fait, j’avais un sentiment d’être aimé en regardant les vidéos pornographiques.
Un jeune homme ajoute qu’à partir de 14 ans, il prenait du plaisir à regarder des choses qui le dégoûtaient.
Dans une entrevue-choc accordée en 2021, la chanteuse américaine Billie Eilish a raconté qu’à 11 ans, elle a commencé à regarder de la pornographie, et que cela l’a tellement perturbée qu’elle n’osait pas dire non à certaines pratiques sexuelles dans ses premières relations amoureuses. « La porno a vraiment détruit mon cerveau », a-t-elle conclu.
C’est peut-être cela le plus triste : on vole aux jeunes la découverte de leur sexualité en les inondant de performances irréalistes et souvent malsaines qu’ils perçoivent comme normales. Un visionnement fréquent de porno peut créer chez les jeunes de la peur et de l’anxiété, nuire à leur estime de soi en altérant la perception qu’ils ont de leur propre corps et entraîner des symptômes de dépression.
La sexologue québécoise Marie-Christine Pinel, quant à elle, a fait des constats troublants chez les jeunes dans sa pratique. Je la cite :
Je vois émerger des tendances destructrices : une recrudescence des relations de dominance, une anxiété de performance qui entraîne des douleurs à la pénétration et un dysfonctionnement érectile, une explosion dans la demande de chirurgie esthétique génitale; tous ces problèmes sont dus à l’influence de la porno.
C’est donc un enjeu véritable de santé publique dont on parle trop peu en raison des tabous entourant la pornographie. Cette idée que seuls les parents peuvent contrôler les écrans de leurs enfants est complètement dépassée depuis l’arrivée des téléphones intelligents. Là-dessus, je tiens à mentionner le tout récent rapport très étoffé de la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes. Cette commission québécoise recommande sans réserve d’imposer aux sites pornographiques des vérifications d’âge fiables, non contournables et respectueuses de la vie privée.
Depuis quatre ans, il y a eu des progrès un peu partout par rapport à cet enjeu, sauf au Canada. Des avancées technologiques ont diminué les risques à la vie privée des clients. Les préjudices de la pornographie sur les enfants sont mieux documentés. Plusieurs gouvernements — notamment ceux de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Union européenne et d’une vingtaine d’États américains — sont passés à l’action. Pour ma part, j’ai retenu les suggestions et les critiques durant le long processus législatif du projet de loi S-210.
Là-dessus, je tiens à remercier le légiste Marc-André Roy de m’avoir aidée à reformuler et à préciser le libellé du texte et d’avoir pris le temps d’en discuter. Cela fait quatre ans et demi que je profite de son aide inestimable.
[Traduction]
En politique, les perceptions l’emportent souvent sur la réalité. Bien que je sois féministe et progressiste, et que je sois en faveur d’une éducation sexuelle rigoureuse, j’ai été accusée d’essayer de censurer les scènes de nudité dans les émissions diffusées sur des plateformes comme Netflix ou HBO. Cette critique est née du fait que j’introduisais une infraction criminelle qui reflétait la définition du Code criminel du matériel sexuellement explicite.
Afin de désamorcer la controverse, j’ai choisi, dans cette version du projet de loi, le projet de loi S-209, un terme plus clair et moins ambigu, à savoir « matériel pornographique » plutôt que « matériel sexuellement explicite ». Le projet de loi définit ce nouveau terme comme suit, en reprenant la partie la plus pertinente de la définition actuelle du Code criminel :
Matériel pornographique s’entend de toute représentation photographique, filmée, vidéo ou autre [...] dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, des seins, des organes génitaux ou de la région anale d’une personne, à l’exclusion [de la] pornographie juvénile [...]
Il est important de comprendre que l’expression « dans un but sexuel » est essentielle. Il ne s’agit pas de simples scènes de nudité.
Il est également essentiel de rappeler que, dès le départ, le projet de loi prévoit une exception pour le matériel pornographique utilisé à des fins légitimes liées à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts, comme une série diffusée sur HBO, par exemple.
Il ne s’agit pas de censure, mais de protéger les enfants de la même manière qu’une société le fait dans le cas de l’alcool et de la drogue : en exigeant des détaillants qu’ils vérifient l’âge des acheteurs.
Soyons clairs : le projet de loi S-209 n’aura aucune incidence sur la capacité des adultes à accéder à la pornographie. Il ne s’agit pas d’une atteinte à la liberté d’expression, comme certains le prétendent. En Europe, les sites pornographiques qui ont contesté les lois sur la vérification de l’âge n’ont pas réussi à avoir gain de cause. Aux États-Unis, un pays réputé pour sa protection passionnée de la liberté d’expression, les sites pornographiques qui ont contesté les lois des États ont échoué jusqu’à présent. Une décision de la Cour suprême des États-Unis sera rendue sous peu.
Le deuxième amendement majeur apporté au projet de loi S-209 porte sur la vérification de l’âge des utilisateurs au moyen de récentes avancées technologiques. La version précédente du projet de loi exigeait une vérification de l’âge, c’est-à-dire authentifier l’identité de l’utilisateur. Cela soulevait des questions en matière de protection de la vie privée.
Pour tenir compte de cet enjeu, nous avons suivi l’exemple du Royaume-Uni en autorisant des dispositions relatives à l’estimation de l’âge. Je dis bien « estimation de l’âge » et non « vérification de l’âge ».
Ces dernières années, l’estimation de l’âge à partir du visage, rendue possible avec l’intelligence artificielle, est devenue beaucoup plus précise, avec une marge d’erreur considérablement réduite. Cette technique ne nécessite aucune preuve d’identité, donc moins de données personnelles sont collectées. De plus, une nouvelle technologie de la France permet d’estimer l’âge d’une personne à partir d’une simple vidéo de sa main en mouvement, réduisant ainsi davantage les risques liés à la confidentialité.
Oui, la technologie évolue. C’est parfois un peu effrayant.
Ce ne sont là que quelques exemples des progrès réalisés. Soyons clairs, les mesures législatives décrivent uniquement les grands types de méthodes de vérification et d’estimation de l’âge. Elles ne précisent pas quel mécanisme au juste sera autorisé. Nous laissons le gouvernement prendre ces décisions pendant la phase réglementaire, soit le moment approprié pour évaluer les détails techniques. D’autres gouvernements adoptent la même approche, reconnaissant la nécessité de s’adapter aux progrès technologiques en cours et d’apporter les ajustements nécessaires.
On a également soulevé des inquiétudes quant à la manière dont ce projet de loi garantira que les renseignements personnels des consommateurs de pornographie seront bien protégés, puis détruits le plus rapidement possible.
Nous nous sommes inspirés du témoignage du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Philippe Dufresne, devant le comité de la Chambre afin de renforcer et de clarifier les principes directeurs énoncés au paragraphe 12(2) du projet de loi.
Avant de choisir le bon mécanisme dans le cadre de la phase réglementaire :
le gouverneur en conseil vérifie [...]
— au lieu de « examine » afin d’avoir une formulation plus stricte —
[...] que le mécanisme envisagé :
a) est très efficace;
— l’autre version disait seulement « fiable » —
b) est l’œuvre d’une organisation tierce indépendante de toute organisation qui rend accessible sur Internet du matériel pornographique à des fins commerciales;
Puis, plus loin :
e) ne recueille que les renseignements personnels qui sont absolument nécessaires à la vérification ou à l’estimation de l’âge [...]
Je souligne qu’avant son témoignage devant le comité de la Chambre des communes au printemps dernier, le commissaire Dufresne avait lancé des consultations à l’échelle du Canada sur la vérification de l’âge et avait participé à un groupe de travail international sur la question. C’est dire qu’il est bien renseigné.
Au-delà des modifications mentionnées, l’essence du projet de loi demeure, en particulier, l’infraction criminelle prévue à l’article 5 du projet de loi :
Toute organisation qui rend accessible à un jeune du matériel pornographique sur Internet à des fins commerciales est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible, a) pour une première infraction, d’une amende maximale de 250 000 $ [...]
(1700)
Dans la pratique, cependant, il est peu probable qu’une telle amende soit imposée, étant donné que la plupart des sites pornographiques sont établis à l’étranger.
C’est pourquoi le projet de loi S-209 prévoit également une procédure administrative. Un organisme désigné pourrait demander au tribunal fédéral d’ordonner le blocage des sites non conformes au Canada. Cette procédure ne serait appliquée qu’après l’émission d’un avis et l’expiration d’un délai de 20 jours.
Cela signifie que les sites pornographiques non conformes pourraient être bloqués même s’ils sont établis à l’étranger.
Il est important de souligner que le projet de loi ne vise que les organisations et non les individus.
[Français]
Il y a une autre amélioration dans le projet de loi : nous avons ajouté deux articles pour préciser sa portée. À l’article 6, on exclut les organisations qui, de façon incidente et non délibérée, ne font que transmettre du matériel pornographique. Cela veut dire, par exemple, que les fournisseurs de services Internet, comme Vidéotron et Bell, ne sont pas visés par la loi.
La portée du projet de loi est une préoccupation légitime, car il y a de plus en plus de médias sociaux, en dehors des plateformes consacrées à la porno, qui autorisent la diffusion de matériel pornographique sur les comptes de leurs abonnés. C’est le cas notamment de X, qui s’appelait auparavant Twitter, où l’on estime que 13 % des contenus sont pornographiques. Il y en a beaucoup d’autres, et la recherche indique que les mineurs en consomment autant, sinon plus sur les réseaux sociaux que sur les plateformes des géants de la porno comme Pornhub.
Techniquement, il est tout à fait possible d’estimer l’âge des clients sur les comptes porno d’un média social sans empêcher les clients d’avoir accès librement aux autres contenus sur ces plateformes. Pourquoi? Parce que ce contenu porno est déjà identifié. Les réseaux sociaux ajoutent automatiquement une page d’accueil qui indique qu’il s’agit de matériel pour adulte. Donc, l’estimation de l’âge serait ciblée.
Dans leur loi sur les préjudices en ligne, les Britanniques exigent l’estimation ou la vérification de l’âge pour tous les comptes qui diffusent de la porno, que ce soit sur les médias sociaux ou les sites pornos, de manière à protéger les enfants de la porno en ligne, où qu’elle soit diffusée. C’est logique. Il s’agit toutefois d’un exercice délicat que de déterminer exactement la portée du projet de loi dans son application concrète.
Nous avons encore là choisi de laisser une importante marge de manœuvre au gouvernement. À l’alinéa 12(1)a), on indique donc que le gouverneur en conseil a le pouvoir de préciser les circonstances dans lesquelles du matériel pornographie rendu accessible gratuitement vise ou non des fins commerciales. Cela relève donc encore une fois de l’étape de la réglementation, car Internet est un espace en constante évolution.
Les projets de loi d’intérêt public servent notamment à mettre en lumière des angles morts du gouvernement. Pour être bien franche, je croyais que le dernier gouvernement inclurait en 2024, dans son vaste projet de loi C-63 sur les préjudices en ligne, l’obligation pour les sites pornos de vérifier l’âge de leur client. Il ne l’a pas fait, ce qui est évidemment son choix. Tout ce qui est mentionné dans le texte législatif mort au Feuilleton, en termes vagues, est ce qui suit : les exploitants des sites doivent protéger les enfants avec des caractéristiques de conception adaptées à l’âge. C’est vague; une commission décidera de la suite. J’ai suivi les débats dans les autres pays. Il me semble que la volonté politique doit s’exprimer clairement dès l’étape du projet de loi, plutôt que de laisser les choix difficiles aux organismes de réglementation en raison de la puissance des adversaires, particulièrement l’industrie pornographique.
Prenons le cas de l’Union européenne, qui vient d’ouvrir une enquête sur Pornhub, Stripchat, XVideos et XNXX, parce que ces sites sont soupçonnés de ne pas avoir bloqué l’accès aux mineurs. Pourtant, une loi en vigueur depuis deux ans interdisait un tel accès à la porno aux jeunes âgés de moins de 18 ans. Pas plus tard qu’aujourd’hui — parce que cette guerre continue —, Pornhub et les autres sites d’Ethical Capital Partners, une entreprise d’Ottawa, viennent d’annoncer qu’ils cessent de diffuser en France justement parce qu’on les oblige à vérifier l’âge des clients. Selon la ministre française déléguée chargée du Numérique, Mme Clara Chappaz, c’est carrément du chantage et des mensonges que de prétendre que les mécanismes de vérification de l’âge français ne garantissent pas la vie privée. Il est vrai que la France a travaillé plusieurs années sur ce qu’on appelle le double anonymat pour s’assurer que ce qu’elle demandait aux sites pornos avait du sens. Je trouve que cette attitude, c’est-à-dire de prétendre que les lois adoptées par les gouvernements démocratiques nous déplaisent et que nous quittons donc le pays, est un peu difficile à accepter.
Il faut dire que l’industrie de la porno n’a jamais cru bon de s’autoréglementer. La première enquête de fond qui a été publiée récemment au Québec sous le titre L’empire du sexe a révélé que les anciens patrons de Pornhub ne reculaient devant rien pour attirer les clients, notamment en choisissant des titres accrocheurs, en laissant entendre qu’on mettait en scène des filles mineures et en faisant preuve d’aveuglement et de lenteur à retirer des vidéos d’exploitation sexuelle de jeunes filles mineures.
Tant qu’il n’y a pas d’exploitation sexuelle d’enfants, la pornographie est un divertissement pour adulte tout à fait légal et ce n’est pas mon combat. Quand elles sont consommées par des enfants, toutefois, ces millions de scènes hardcore peuvent démolir leur vie intime et, par extension, leur perception de l’égalité entre les femmes et les hommes. On peut certainement diverger d’opinion sur les moyens de protéger les enfants de ces préjudices. L’éducation sexuelle à l’école et le rôle des parents sont effectivement essentiels, mais pas suffisants pour endiguer ce flot d’images pornos qui occupent le tiers de la bande passante sur Internet.
Le processus législatif qui s’enclenche, je l’espère, nous permettra d’améliorer encore le texte législatif, mais le réel défi, à mon avis, sera de trouver la volonté politique d’agir — même avec une loi imparfaite — et de protéger nos enfants, comme nous le demandent les parents. D’autres pays qui nous ressemblent l’ont fait.
[Traduction]
L’honorable Denise Batters : Comme vous vous en souviendrez peut-être, j’ai appuyé ce projet de loi au cours de la dernière législature, avant qu’il ne soit renvoyé à la Chambre des communes, et je crois comprendre que certains changements y ont été apportés à l’étape de l’étude du comité. Je vous remercie infiniment de votre discours exhaustif qui a mis en évidence les questions que nous examinons ici. Parmi les changements que vous avez mentionnés dans votre discours d’aujourd’hui et qui ont été apportés à la nouvelle version de votre projet de loi, y en a-t-il qui découlent de changements apportés par la Chambre des communes, ou s’agit-il de changements supplémentaires?
La sénatrice Miville-Dechêne : Si vous me le permettez, je vais répondre en français parce que c’est un peu technique.
[Français]
On ne s’est pas rendu à l’étape de la présentation d’amendements au comité de la Chambre des communes. En fait, le débat a été très court et il y a eu des objections. Vous savez, à la Chambre des communes, il y a un délai de 90 jours; il y a des délais très prescriptifs. Quand on dépasse ces délais, le projet de loi s’en va tout de suite à l’étape du rapport et à la troisième lecture. C’est ce qui est arrivé à mon projet de loi, malheureusement.
Cela dit, dans les changements que j’ai faits, j’ai tenu compte des brèves allocutions qui ont été prononcées à la Chambre des communes et aussi de certaines suggestions qui ont été faites par les différents partis politiques. J’ai donc vraiment essayé, dans cette nouvelle version, de tenir compte des inquiétudes.
Toute la question de la vie privée, par exemple, est une inquiétude bien réelle que je comprends. Cependant, vous voyez ce qui se passe en ce moment en France. C’est l’entreprise Pornhub elle-même qui a dit qu’aucune solution ne trouvait grâce à ses yeux, parce qu’il y avait un problème sur le plan de la vie privée. Cette attitude encourage ce manque de confiance dans différents systèmes. Or, la technologie progresse et ces vérifications se font de plus en plus avec la plus petite quantité d’information possible. Je ne vous dis pas que c’est sûr à 100 %.
(1710)
Aucune technologie n’est sûre à 100 %, mais je dirais qu’il faut mesurer l’écart qui existe entre la protection des enfants et l’idée que tout un chacun peut entrer sur des sites pornos sans prendre 10 ou 20 secondes pour s’identifier. Je ne considère pas qu’il s’agit ici de parler de liberté d’expression, et je crois que nous avons ici un choix de société à faire.
Le gouvernement fédéral précédent était contre ce projet de loi. Je demande à présent que cet enjeu qui est particulièrement grave soit abordé et que l’on fasse quelque chose. Que ce soit en présentant un projet de loi privé, un projet de loi gouvernemental ou autre, je crois qu’il faut aller de l’avant.
[Traduction]
La sénatrice Batters : J’ai une autre question. Je suis d’accord avec vous, il faut effectivement veiller à ce que des mesures considérables soient prises pour lutter contre un problème aussi grave. À cet égard, j’ai également aimé la partie de votre discours où vous avez parlé de l’ancien projet de loi C-63 du gouvernement; je crois qu’on l’appelait la Loi sur les préjudices en ligne. Ce projet de loi n’a jamais été renvoyé au Sénat, il est mort au Feuilleton à la Chambre des communes au moment de la prorogation, puis de la dissolution.
Je me demande si, au cours de la dernière campagne électorale, le Parti libéral — qui est maintenant au pouvoir — a fait des promesses à ce sujet ou si cela faisait partie de son programme électoral.
La sénatrice Miville-Dechêne : Malheureusement non, mais je pense que le gouvernement a surtout dû s’occuper d’autres crises, à commencer par les crises économiques et les relations avec notre pays voisin. Je souhaite seulement que, même s’il y a beaucoup d’autres priorités, ce dossier, où il est question de protéger les enfants, soit pris en considération, et que si un autre projet de loi sur les préjudices causés aux enfants en ligne est présenté, cette question en fasse partie. Je vous remercie.
L’honorable Marilou McPhedran : Je tiens d’accord à vous féliciter de la ténacité et du courage indéniables dont vous faites preuve dans ce dossier. Je vous remercie aussi d’être prête à ne pas céder devant l’intimidation.
Les changements que vous avez accepté d’apporter à ce projet de loi n’enlèvent rien, selon moi, au fait qu’il s’agit d’une mesure législative sur les préjudices et le tort causés aux enfants. Il ne s’agit peut-être pas de mauvais traitements physiques comme on les conçoit habituellement, mais il s’agit tout de même d’agressions.
Je me demande si vous pourriez nous parler de l’opposition que vous n’avez pas mentionnée dans la présentation du projet de loi, mais avec laquelle vous avez dû composer, puisque vous refusez de baisser les bras.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, madame la sénatrice McPhedran.
Il est évident que la pornographie est un sujet controversé. J’ai reçu de nombreuses critiques sur Internet; plusieurs n’étaient pas particulièrement polies ou cordiales, on me décrit souvent comme une personne prude et on a essayé de m’associer aux chrétiens évangélistes américains qui, pour toutes sortes de raisons, n’aiment pas la pornographie. On a également tenté de faire croire que j’étais manipulée par d’autres gens.
Je crois que la qualité de ce projet de loi lui permet de recueillir l’appui tant des conservateurs que des milieux plus progressistes, mais il ne fait jamais l’unanimité. Dans les milieux politiques, j’ai en effet constaté que le fait de demander que les enfants ne regardent pas de la porno est vu comme une entrave à la liberté sexuelle. Cela me semble particulièrement odieux, car les deux ne sont pas équivalents. Je réponds souvent à ces parlementaires en leur demandant s’ils ont visionné ces plateformes pornos. Je ne parle pas des magazines Playboy ou Penthouse; je parle de matériel difficile à regarder. Après avoir rédigé ce projet de loi et avoir visionné une tonne de matériel, j’ai encore des images dans la tête, et ce, malgré mon âge. Imaginez donc ce que cela fait aux enfants. Une femme m’a d’ailleurs écrit aujourd’hui pour me dire que son enfant était devenu complètement agressif après avoir visionné de la porno et qu’il s’en est pris à ses frères et sœurs.
Il ne faut donc pas prétendre que cela n’arrive jamais et qu’il ne s’agit que de simples anecdotes. Je sais que la recherche n’est pas complète sur le sujet, car il est difficile d’asseoir des enfants devant des images pornos et de mesurer l’impact que ces images ont sur eux. On ne peut que faire des corrélations. Il y a maintenant tellement de liens à faire entre les préjudices et la dépendance induite par le visionnement de pornographie par les enfants que cela nous oblige à agir. Bien sûr, on n’en entend pas parler tous les jours, car plusieurs d’entre nous sont des grands-parents, mais pour les parents, l’Internet tout entier est problématique, et ce dont je vous parle aujourd’hui l’est encore davantage.
Donc, oui, j’ai dû faire face à des arguments et des critiques qui m’ont complètement sidérée, mais c’est le propre de beaucoup de projets de loi, alors je ne m’en plains pas et je continue mon travail pour et au nom des enfants.
[Traduction]
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je tiens seulement à dire, à titre de porte-parole de l’opposition, que j’appuie ce projet de loi. Vous avez fait un très bon discours et vos collègues ont posé d’excellentes questions. J’espère donc que le Sénat voudra bien accélérer le processus législatif, parce qu’il s’agit d’une question très importante et très grave. Je promets de revenir très rapidement sur le sujet.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur le Mois du patrimoine ukrainien
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Stan Kutcher propose que le projet de loi S-210, Loi instituant le Mois du patrimoine ukrainien, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-210, Loi instituant le Mois du patrimoine ukrainien. Une fois adopté, ce projet de loi désignera le mois de septembre de chaque année comme Mois du patrimoine ukrainien partout au Canada pour célébrer les contributions apportées par les Canadiens d’origine ukrainienne à notre pays.
Ce projet de loi est identique à celui que le Sénat a adopté en novembre 2024. Il avait été présenté à la Chambre, mais y a été arrêté. Il y a déjà quelqu’un pour parrainer le présent projet de loi à la Chambre, et, compte tenu des messages de soutien à l’Ukraine que nous avons entendus de la part de nos collègues dans cette enceinte, j’ai bon espoir que l’adoption rapide du projet de loi au Sénat encouragera nos amis de l’autre endroit à agir rapidement.
Il est important d’agir rapidement parce que, comme nous le savons, la guerre génocidaire menée par la Russie contre une Ukraine souveraine et démocratique entre désormais dans une phase plus violente. La Russie ne se contente pas de combattre sur le front : elle s’en prend à des civils innocents et les tue dans les écoles, sur leur lieu de travail, dans la rue, chez eux, dans les hôpitaux et dans les lieux de culte. La Russie enlève des enfants ukrainiens à leur communauté, les place dans des goulags, élimine de force leur identité ethnoculturelle et endoctrine même certains d’entre eux pour qu’ils attaquent leurs propres parents et amis. Elle détruit l’environnement, plante des centaines de milliers de mines dans des champs essentiels à la culture céréalière mondiale, détruit à l’explosif des sites religieux et culturels, et crée un enfer pour des gens qui veulent simplement vivre en paix.
Cette guerre génocidaire fait des ravages. Une génération entière de jeunes a été traumatisée. Des milliers de personnes ont perdu la vie. Des milliers d’autres ont perdu un membre ou leur moyen de subsistance. Les dégâts sont inimaginables. Et tout cela pour quoi? Pour que la Russie puisse rêver à nouveau d’un empire?
(1720)
L’approche conciliante de l’endiguement progressif promue sous l’administration Bush — laisser l’Ukraine saigner, mais pas complètement — a été aggravée par l’ineptie et la corruption de l’équipe de Trump. L’Ukraine — et, en fait, l’Europe — se bat aujourd’hui pour sa survie. C’est un combat de la démocratie contre la tyrannie, un combat de l’espoir contre le désespoir, un combat pour la victoire de la justice sur la force.
Ce projet de loi célèbre le patrimoine ukrainien au Canada. Il nous rappelle ce que les personnes qui s’identifient comme Canadiens d’origine ukrainienne ont apporté à l’édification de notre pays. À ce titre, il est similaire à de nombreux autres projets de loi que nous avons adoptés pour reconnaître l’importante contribution de toutes les personnes qui ont bâti notre pays.
Nous savons que le « patrimoine » désigne tout ce que nous avons hérité du passé, ce que nous apprécions et savourons dans le présent et ce que nous nous efforçons de préserver et de transmettre aux générations futures. Notre patrimoine est une célébration de qui nous sommes, de ce que nous aspirons à devenir et du lien qui nous unit les uns aux autres.
Je présente aussi ce projet de loi pour honorer mon patrimoine ukrainien, avec le soutien et les encouragements du Congrès ukrainien canadien, de la diaspora ukrainienne et des nouveaux arrivants ukrainiens qui cherchent refuge au Canada. Dans ce contexte, je saisis l’occasion pour signaler à chaque sénateur que je veux moi aussi en apprendre davantage sur leur patrimoine, car, dans ce parcours axé sur les découvertes mutuelles, nous pouvons espérer mieux nous comprendre et, par le fait même, définir et bâtir un meilleur avenir.
Cependant, je présente à nouveau ce projet de loi aujourd’hui, car je suis convaincu que tous les citoyens épris de liberté qui croient en la primauté du droit, en la démocratie et en la souveraineté des États sont consternés par ce qui se passe en Ukraine. Je présente à nouveau ce projet de loi parce que, dans cette enceinte, par le simple fait d’adopter cette mesure législative, nous pouvons montrer à l’Ukraine, au Canada et au reste du monde épris de liberté que nous défendons ce qui est juste, que nous nous soucions de ce qui se passe, que nous abhorrons la tyrannie et que nous voulons préserver la justice.
Chers collègues, les temps sont durs en Ukraine et ils sont durs pour tous ceux d’entre nous qui ont de la famille dans ce pays ou qui ont des liens avec lui. Mes amis, chaque matin, lorsque je me réveille, la première chose que je fais est de consulter WhatsApp pour voir si ma famille là-bas a survécu à la nuit. J’espère que le projet de loi sera un coup de pouce qui montrera aux Ukrainiens que nous les soutenons et qui encouragera les Canadiens qui soutiennent l’Ukraine à ne pas baisser les bras et à continuer de se battre aussi longtemps que nécessaire.
J’ai le privilège de raconter au Sénat l’histoire de mes parents et de mes grands-parents. Ils ont quitté l’Ukraine pour s’installer au Canada après avoir perdu tous leurs biens, la plupart de leurs amis et la plupart de leurs proches aux mains des forces russes et nazies. Ils faisaient partie des nombreux Ukrainiens qui ont cherché refuge au Canada après la Deuxième Guerre mondiale. Ils y ont trouvé un lieu sûr pour leurs familles, un endroit où celles-ci pouvaient vivre dans la paix, sans peur, et s’épanouir pendant des générations.
Une fois ici, ils se sont intégrés à une vaste diaspora ukrainienne qui remonte à l’appel lancé par Clifford Sifton, ministre de l’Intérieur du gouvernement Laurier, qui a choisi d’accueillir des Européens de l’Est au Canada dans le cadre d’une stratégie d’immigration pour coloniser l’Ouest du pays. M. Sifton voulait des « paysans robustes, vêtus de manteaux de peau de mouton, nés de la terre, dont les ancêtres sont agriculteurs depuis dix générations ».
Des milliers de personnes ont répondu à cet appel pour se rendre dans l’Ouest du Canada et, grâce à leur dur labeur, elles ont contribué à faire du Canada la puissance agricole qu’il est aujourd’hui. D’ailleurs, les origines de certains sénateurs remontent à cette époque.
Le lien qui unit le Canada et l’Ukraine a été tissé au fil des décennies et il continue de se renforcer. Depuis février 2022, plusieurs Canadiens ont pris conscience des liens qui unissent le Canada et l’Ukraine, ainsi que de l’histoire qui s’y rapporte. En effet, chers collègues, cette histoire fait partie du patrimoine qui définit les Canadiens d’origine ukrainienne et qui les lie aux autres personnes qui vivent au Canada et dont le patrimoine comprend des souvenirs d’horreur semblables. Cette histoire a des racines profondes et tragiques : environ 4 millions de personnes ont perdu la vie pendant l’Holodomor, la famine provoquée par Staline, et entre 8 et 14 millions de personnes ont été tuées pendant la Seconde Guerre mondiale. Tous les Canadiens dont les familles ont vécu des circonstances semblables, où que ce soit dans le monde, comprennent cette histoire.
De nos jours, plus de 1,4 million de personnes d’origine ukrainienne vivent au Canada, soit près de 4 % de notre population. Ma famille compte parmi ce groupe, notamment mes grands-parents maternels, mes parents, moi-même, mes deux frères, nos enfants et nos neuf petits-enfants.
Quand j’étais enfant, j’ai commencé à parler anglais uniquement à l’école primaire. Comme c’était le cas dans de nombreux foyers de réfugiés, la langue maternelle était la langue parlée à la maison. Comme mes grands-parents n’ont jamais appris l’anglais, l’ukrainien était la langue qui me liait à eux. Les années ont passé, et je me suis de plus en plus éloigné de ma langue maternelle. Ma familiarité avec cette langue s’est estompée. Je parlais ukrainien uniquement avec ma baba et mon dido, soit ma grand-mère et mon grand-père. Malheureusement, après leur mort, j’ai arrêté de parler l’ukrainien. Il n’y avait plus personne dans ma vie avec qui je devais utiliser ma langue maternelle.
Depuis que la guerre génocidaire de la Russie contre l’Ukraine a éclaté et que le Canada a commencé à accueillir des Ukrainiens nouvellement déplacés, j’ai eu le privilège de rencontrer de nombreuses personnes de mon pays d’origine. J’ai appris à connaître un certain nombre de ces nouveaux arrivants, ce qui m’a encouragé à renouveler mes liens culturels. J’ai même commencé à réapprendre ma langue maternelle. Je m’améliore chaque semaine — merci, Duolingo — et j’espère bientôt, à 73 ans, pouvoir parler l’ukrainien presque aussi bien que lorsque j’avais 6 ans.
Le mois de septembre est un mois important pour les Canadiens d’origine ukrainienne, car c’est en septembre, il y a plus de 125 ans, que les premiers Ukrainiens seraient arrivés au Canada. Nombre d’entre eux se sont installés dans les Prairies et sont devenus cultivateurs. On raconte que ces premiers colons des Prairies ont été aidés par leurs voisins autochtones. Ces liens entre les peuples autochtones et les communautés ukrainiennes sont symbolisés par le motif kokum. D’ailleurs, c’est le motif kokum que l’on voit sur ma cravate aujourd’hui.
On ne compte plus les Canadiens d’origine ukrainienne qui ont laissé leur marque dans notre pays. Je vais prendre un moment pour en mentionner quelques-uns. Roberta Bondar était une neurologue pionnière dans la recherche en médecine spatiale. Elle a été la première Canadienne et la deuxième personne du Canada à aller dans l’espace.
Sylvia Fedoruk était elle aussi une pionnière, mais dans le domaine médical. Elle travaillait avec des isotopes radioactifs pour traiter le cancer. Elle a été la première femme à occuper le poste de chancelière de l’Université de la Saskatchewan et elle a été intronisée au Temple de la renommée du curling du Canada. En 1988, elle est devenue lieutenante-gouverneure de la Saskatchewan.
Le père de Ray Hnatyshyn a été le premier sénateur canadien d’origine ukrainienne. Ray a été député de la Chambre des communes, dans les Cabinets de Joe Clark et de Brian Mulroney. En janvier 1990, il a été assermenté gouverneur général du Canada, où il a déclaré : « [...] le gouverneur général appartient aux citoyens du Canada. »
Pendant des dizaines d’années, les ménages canadiens ont mis leurs connaissances à l’épreuve avec l’animateur de l’émission Jeopardy, dont le père est né en Ukraine. De nombreux athlètes sont d’origine ukrainienne, comme les hockeyeurs de la LNH Wayne Gretsky et mon propre cousin, Mark Osborne. Mark est beaucoup moins connu que M. Gretzky et, bien malheureusement, il a passé plus d’une dizaine d’années à jouer pour les Maple Leafs de Toronto. J’ai vu une affiche l’autre jour qui disait « Le printemps est arrivé, mais les Leafs eux, sont déjà partis ».
Honorables sénateurs, il se trouve même des gens d’origine ukrainienne parmi notre assemblée. Elle en compte d’ailleurs depuis de nombreuses années déjà. L’un de ces distingués sénateurs s’appelait Paul Yuzyk, et il a été surnommé « le père du multiculturalisme ». Il était convaincu que tous les groupes ethniques méritent d’être considérés comme des partenaires au sein de la mosaïque canadienne. Dans le discours qu’il prononce le 3 mars 1964 et qu’il intitule « Le Canada, une nation multiculturelle », il souligne que les peuples autochtones étaient présents au Canada longtemps avant l’arrivée des colons français et anglais. Il voyait notre réalité multiculturelle comme une source d’unité dans la diversité et il mettait au défi la nation canadienne d’embrasser et de célébrer cette réalité.
(1730)
J’espère que tout le monde ici présent est conscient de la valeur de l’unité dans la diversité. Notre tâche consiste à apprendre qui peut tirer le maximum des liens qui nous unissent tout en évitant les incitations de ceux qui voudraient se servir de notre diversité pour nous diviser.
Honorables sénateurs, dans cette époque qui est la nôtre, nous devons célébrer davantage ce qui nous unit et faire front commun contre ce qui nous divise. Nous devons soutenir le peuple ukrainien ainsi que les Canadiens qui chérissent les liens qui nous unissent. Voilà pourquoi je vous demande votre soutien afin que ce projet de loi, qui célèbre le patrimoine ukrainien, soit adopté rapidement par le Sénat et puisse être renvoyé à l’autre endroit.
D’akuju. Merci. Wela’lioq.
Des voix : Bravo!
L’honorable Denise Batters : Sénateur Kutcher, pour commencer, je vous signale que ma mère est une grande partisane des Maple Leafs. Pourtant, pour une raison ou une autre, mais toujours sensée, elle dit toujours que les Leafs savent quand le moment est venu d’arrêter de jouer au hockey. Quand il commence à faire chaud, il est temps qu’ils arrêtent. Je vous parle de ma mère parce qu’elle est aussi la gardienne du patrimoine ukrainien de ma famille et elle peut vous broder un chemisier au point de croix dans le temps de le dire, probablement parce qu’elle a quatre filles pour qui elle devait confectionner des costumes de danse ukrainienne.
Je vous remercie de votre discours. Comme vous le savez, j’étais la porte-parole de l’opposition pour ce projet de loi, mais j’y étais favorable, et je pense bien l’être cette fois encore. Je vais sans doute devoir enfiler mon chemisier ukrainien, comme je l’ai fait la dernière fois, pour que mon intervention marque les esprits.
J’ai toutefois une question à vous poser. J’ai comparé ce projet de loi à votre projet de loi précédent. Vous avez dit dans votre discours que c’est exactement la même chose, et c’est aussi ce que j’ai constaté. Dans mon discours précédent à l’étape de la deuxième lecture, j’ai dit que j’étais surprise que vous n’ayez pas inclus le mot « liberté » dans votre préambule lorsque vous avez parlé des liens entre l’Ukraine et le Canada et de la défense des valeurs universelles que sont les droits de la personne, la démocratie et le respect du droit international. Vous avez parlé de ceux qui sont épris de liberté dans votre discours à quelques reprises aujourd’hui, ce que j’ai été heureuse d’entendre parce que je n’avais pas entendu cela l’année dernière. Je me demande cependant pourquoi vous n’avez pas inclus dans votre préambule la liberté comme valeur universelle qui lie le Canada et l’Ukraine.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de votre question, sénatrice Batters. Si cela peut vous consoler, ma mère était également une partisane des Maple Leafs.
Je comprends votre point et j’ai tenté d’inclure cette expression dans mon discours d’aujourd’hui. Je pense que le point que vous soulevez et auquel nous devons tous réfléchir — et je vous remercie de l’avoir soulevé —, c’est que les valeurs communes à ces deux pays comportent de nombreux éléments : la liberté, le respect, la volonté de faire de son mieux et le travail acharné. Ma parole, si quelqu’un nous avait dit en février 2022 que l’Ukraine ferait exploser des chasseurs en Russie en cachant des drones dans le toit de maisons, une opération qui a pris un an et demi à développer, et qu’hier, elle ferait exploser un pont dans la région de Koursk, nous aurions répondu : « Vous avez perdu la tête, car une telle chose n’arrivera jamais. »
Merci d’avoir souligné que nous partageons de nombreuses valeurs. Nous avons beaucoup en commun et beaucoup à faire, alors merci, sénatrice Batters.
La sénatrice Batters : Pour revenir là-dessus, je pensais que les Ukrainiens en étaient tout à fait capables. Comme je l’ai dit dans mon discours, j’ai un chandail inspiré du président Zelensky sur lequel il est écrit « Fight Like Ukrainians », ce qui signifie « combattez tels des Ukrainiens ». C’est ce qu’ils font et ils ont toujours eu cette réputation. On a repris cette expression, que Churchill avait bien utilisée pour parler des Grecs, et on l’a appliquée aux Ukrainiens, alors je n’ai pas été surprise de voir cela.
Je parlerai d’un autre enjeu dans mon discours. Bien des gens connaissent très bien le patrimoine ukrainien, mais pour permettre de mieux le comprendre, j’en examinerai certains aspects concrets et je donnerai des exemples qui montrent comment les Ukrainiens célèbrent leur patrimoine au Canada. L’un de ces aspects, que je trouve important et qui existe depuis que les Ukrainiens sont arrivés au Canada il y a plusieurs décennies, c’est que bon nombre d’entre eux ont quitté l’Ukraine parce qu’ils voulaient profiter de la liberté de religion. Ils avaient d’abord été persécutés par les Russes, avant de l’être par l’Union soviétique communiste. Les Ukrainiens considèrent que cette question est extrêmement importante depuis des décennies. C’est un aspect que j’essaierai d’approfondir, peut-être à l’aide d’exemples. Nos nouveaux collègues ici présents n’ont peut-être pas tous entendu les discours que nous avons prononcés la dernière fois, alors je vais peut-être me répéter.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, sénatrice Batters. Dans votre discours précédent, vous avez évoqué les questions de religion et insisté sur l’importance qu’elles ont à vos yeux. Je suis ravi d’apprendre que vous prendrez le temps, dans votre futur discours, de nous en dire plus.
Sur une note plus personnelle, mes grands-parents — tenez-vous bien — étaient baptistes. Croyez-le ou non, un tout petit groupe de baptistes évangéliques en Ukraine est venu au Canada et a fondé la première église baptiste de Toronto, sur la rue Tecumseth. Je devais m’y rendre souvent d’ailleurs quand j’étais jeune; je restais assis des heures durant sur les bancs très durs. Heureusement, la pâtisserie Fortune était située juste à côté. Je me glissais en douce hors de l’église, j’entrais dans la pâtisserie par la porte de derrière et on me donnait alors des beignets. Nous avons beaucoup de choses à célébrer et à partager et je vous remercie de continuer à célébrer notre culture commune.
L’honorable Michael L. MacDonald : J’ai un renseignement que le sénateur aurait peut-être voulu inclure dans son discours, mais qu’il a omis de mentionner. Le premier ministre ukrainien au pays a été Michael Starr, qui, après avoir été maire d’Oshawa de 1949 à 1952, a occupé le poste de ministre du Travail dans le gouvernement de John Diefenbaker. Il a été réélu à six reprises avant d’être défait par Ed Broadbent par 15 voix, en 1968. Il a eu une grande carrière et a reçu de nombreux honneurs par la suite, et je suis sûr que vous l’auriez inclus si vous aviez pensé à lui. Je tenais donc à le signaler.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. Michael Starr était une vedette, mais je ne pouvais pas inclure tout le monde. Il y a tellement de gens, et je n’en ai choisi que quelques-uns. Merci d’avoir attiré notre attention sur ce point.
(Sur la motion de la sénatrice Batters, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur le cadre national sur la publicité sur les paris sportifs
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Marty Deacon propose que le projet de loi S-211, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs, soit lu pour la deuxième fois.
Tout d’abord, merci, sénateur Kutcher, d’avoir partagé avec nous vos connaissances de l’Ukraine. C’était fascinant d’entendre cela cet après-midi.
J’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi S-211, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs. Je suis bien sûr déçue de revenir à la case départ. Il s’agit du même projet de loi que le projet de loi S-269, que le Sénat a renvoyé à l’autre endroit sans amendement il y a à peine six mois. Beaucoup d’entre vous se sont prononcés en faveur de ce projet de loi à l’époque, et même si je m’efforcerai de ne pas répéter mes observations antérieures, nous avons beaucoup de nouveaux collègues qui pourraient bénéficier d’une présentation rapide de la situation et d’explications sur les raisons pour lesquelles cette mesure législative doit être adoptée rapidement afin de tenter de résoudre un problème qui ne semble pas près de s’atténuer.
(1740)
Après avoir relu mon discours prononcé à l’étape de la deuxième lecture en 2023, je suis stupéfaite de constater à quel point la situation concernant la promotion des paris sportifs n’a peu changé, y compris l’élimination des Maple Leafs par les Panthers de la Floride au deuxième tour des séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey. Les Leafs se font un peu railler aujourd’hui.
À l’époque, tous ceux qui regardaient cette série à la télévision avaient droit à neuf minutes de publicités sur les paris par match. Je ne dispose pas des chiffres pour les matchs de cette année, mais tous ceux qui ont regardé savent que le problème persiste et s’est même aggravé. En plus des pauses publicitaires, on encourage les téléspectateurs à parier pendant les pauses quand les présentateurs — souvent des personnalités connues — prédisent qui va marquer un but et quand. Des publicités pour diverses marques de jeux de hasard sont également superposées sur les bandes de la patinoire à l’intention des téléspectateurs.
Même ceux qui assistent en personne ne sont pas épargnés par ce matraquage. En effet, les haut-parleurs de la patinoire les encouragent à faire des paris progressifs. Ce matraquage promotionnel contribue directement à exposer les Canadiens au risque de dépendance au jeu.
Par exemple, le Centre de toxicomanie et de santé mentale signale une hausse du nombre d’appels à sa ligne d’aide pour les joueurs compulsifs lors de l’ouverture des séries éliminatoires de la Ligne nationale de hockey chaque année depuis la légalisation de ces paris.
Chers collègues, compte tenu de la portée et de l’ampleur de ce problème — et du paquet de publicités auxquelles nous sommes confrontés chaque jour —, il est facile d’oublier que ce problème est encore relativement récent. Ce n’est qu’en 2021 que le Parlement a adopté le projet de loi C-218, qui a modifié le Code criminel en supprimant l’interdiction de longue date de parier sur le résultat d’une seule course ou d’un seul combat, ou sur une épreuve ou une manifestation sportive unique. Cependant, il a fallu de nombreuses années pour que ce projet de loi voie le jour. Les versions précédentes comprenaient le projet de loi C-290, présenté en 2011 — il y a 14 ans —, qui s’était rendu à l’étape de la troisième lecture au Sénat avant la prorogation du Parlement à l’automne 2013.
Deux autres versions du projet de loi ont été présentées à la Chambre, mais les élections ont entravé le cheminement de l’une d’elles alors qu’elle s’était rendue jusqu’au Sénat. Il convient également de souligner que le gouvernement Trudeau a présenté son propre projet de loi sur les paris sur une seule épreuve sportive en 2020 — vous vous souvenez peut-être du projet de loi C-13. Compte tenu de ses ressemblances avec le projet de loi C-218, qui avait été présenté en premier, le gouvernement a retiré ce projet de loi.
Pourquoi y a-t-il tant de mesures visant à rendre légaux les paris sur une seule épreuve sportive? On soutenait que cela se produisait de toute façon sur les marchés clandestins illicites, dont bon nombre étaient à l’étranger, alors pourquoi ne pas réglementer cette pratique et la sortir de l’ombre? La majorité d’entre nous à l’époque était d’accord et a voté en faveur du projet de loi C-218, moi y compris. J’ai soutenu ce projet de loi, et je le soutiens toujours. C’est parce que ma vie à l’extérieur du Sénat m’influençait. Dans le cadre de mes engagements internationaux, j’avais été exposée au côté sombre du sport amateur.
Il y avait des matchs truqués, ce que nous appelons tous maintenant de la manipulation de matchs. En 2012, les Jeux olympiques de Londres ont révélé ce phénomène en direct à la télévision. Des athlètes se sont fait dire par leur entraîneur de truquer les matchs. Cette pratique est très répandue dans d’autres régions du monde; elle représente une industrie considérable, et elle est aussi de plus en plus présente au Canada.
Lorsque je suis devenue sénatrice, je me suis acquittée de l’obligation d’organiser pour la dernière fois au Canada un championnat mondial auquel ont participé 60 pays et 800 athlètes. Nous avons travaillé avec le Comité international olympique afin de créer un programme d’intégrité dans le sport. Conformément aux valeurs canadiennes, un athlète en sol canadien ne pouvait pas entrer sur le terrain de jeu à Markham, en Ontario, sans avoir suivi le programme portant sur la manipulation de matchs et l’antidopage.
Pendant cette période, j’en ai aussi appris beaucoup sur le conditionnement des athlètes. Des athlètes sont amenés à manipuler des matchs ou à prendre part à un pari gagnant. Je savais que je devais prendre toutes les mesures possibles à cet égard.
Le raisonnement était que, en légalisant les paris sur une seule épreuve sportive au Canada, les acteurs honnêtes sous réglementation seraient au-dessus des matchs truqués : il y a beaucoup trop à perdre si on se fait prendre. Après tout, cette industrie a engrangé 3,2 milliards de dollars de bénéfices l’année dernière, soit une augmentation de près de 200 % depuis l’ouverture des jeux en ligne en Ontario il y a tout juste deux ans.
La saturation des publicités est cependant un problème qui aurait dû être traité dès le départ. Par exemple, le projet de loi C-45, qui a légalisé le cannabis, contenait une disposition interdisant purement et simplement la publicité. Je regrette qu’une disposition similaire n’ait pas été incluse lors de la légalisation des paris sur une seule épreuve sportive. C’est peut-être la nature étroite du projet de loi C-218 qui nous a empêchés de voir plus grand : il ne faisait que supprimer une ligne du Code criminel.
Quoi qu’il en soit, à mon grand regret, la question de la publicité et de la promotion n’a pas été abordée de manière significative, et nous constatons aujourd’hui que l’industrie du sport est étroitement liée aux sociétés de jeux d’argent et aux radiodiffuseurs sportifs, dont certains possèdent leurs propres entreprises de paris. Par conséquent, je ne pense pas qu’il soit exagéré de dire qu’aujourd’hui, au Canada, il est impossible de regarder un événement sportif sans être encouragé à parier.
À ce sujet, la littérature scientifique démontre clairement, preuves à l’appui, que la publicité sur les paris sportifs cause des préjudices importants tant au niveau individuel que collectif et qu’elle a des répercussions particulièrement graves sur les groupes vulnérables, notamment les jeunes.
Nous avons appris beaucoup de choses à ce sujet depuis la présentation du dernier projet de loi. En voici quelques exemples.
Une analyse documentaire effectuée en 2014 par l’Université de Göteborg révèle que les enfants retiennent bien les publicités et les marques qui concernent les paris. Les enfants et les jeunes étaient très conscients du lien entre la publicité et les sports, ce qui est perçu comme une banalisation des paris.
Une étude effectuée en 2023 par l’Australian Institute of Family Studies révèle que les jeunes sont plus susceptibles de faire un pari de façon impulsive ou de parier davantage après avoir vu des publicités sur les paris.
D’après une analyse documentaire menée en 2023 par le Journal of Public Health, des données indiquent qu’il existe un effet dose-réponse, ce qui signifie qu’une exposition accrue à la publicité accroît la participation, ce qui augmente le risque de préjudices. Cette tendance est plus prononcée chez les enfants et les jeunes, ainsi que chez les personnes déjà vulnérables à cause de leurs habitudes de jeu actuelles.
Enfin, une étude espagnole menée en 2025 a révélé que, chez les personnes souffrant d’une dépendance au jeu confirmée, il existe un lien entre la publicité sur les paris et la gravité de la dépendance, et que les organismes de réglementation disposent de données empiriques pour limiter l’exposition à la publicité sur les paris parmi ces groupes vulnérables.
Lors des audiences du comité sur l’ancien projet de loi S-269, nous avons entendu de nombreux témoins qui ont mentionné ces études, entre autres. Selon Raffaello Rossi, chargé de cours en marketing à l’Université de Bristol, qui a comparu devant notre comité, des recherches qu’il a effectuées à l’Université de Bristol en partenariat avec CBC ont révélé que les téléspectateurs sont exposés à trois publicités sur les jeux de hasard par minute lorsqu’ils regardent des sports à la télévision.
Cela n’est pas passé inaperçu aux yeux des Canadiens, et il ne leur a pas fallu beaucoup de temps pour en avoir assez de ces publicités. Selon un sondage mené par le Maru Group en février de l’année dernière, 75 % des Canadiens estiment qu’il faut protéger les enfants et les jeunes contre les publicités sur les paris sportifs, 66 % sont d’avis que ces publicités ne devraient pas être autorisées pendant les diffusions en direct, et 59 % croient qu’il faudrait immédiatement interdire ces publicités à l’échelle nationale.
Il y a aussi le fait que l’ensemble du pays — tout le Canada — est soumis à la volonté d’une seule province en matière de publicité. Je vous rappelle, honorables collègues, que, jusqu’à présent, les paris sur des manifestations sportives individuelles dans un secteur privé légal n’existent qu’en Ontario. Les publicités des entreprises privées que vous voyez en Alberta, en Colombie-Britannique ou à Terre-Neuve sont techniquement illégales, car les habitants de ces provinces ne peuvent pas participer légalement aux paris organisés par ces entreprises. Cela crée beaucoup de problèmes.
Lors de l’étude du projet de loi S-269, Will Hill, directeur exécutif de la Canadian Lottery Coalition, que nous avons rencontré, a déclaré ce qui suit au comité :
Lorsqu’un joueur d’une autre province que l’Ontario voit l’une de ces publicités à la Soirée du hockey pendant un entracte, qu’il se connecte à son ordinateur et que, sur le site Web d’actualités sportives de son choix, il trouve une bannière numérique d’un exploitant, il a l’impression que le jeu doit être légal. Si je l’ai vu à la télévision et je le vois sur mon ordinateur alors que je suis assis ici au Manitoba, en Saskatchewan ou ailleurs, si cela m’est présenté, c’est qu’il doit y avoir une certaine légitimité. Il y a un vernis de légalité et d’authenticité dans la publicité qui dépasse les frontières de l’Ontario.
(1750)
Chers collègues, pourquoi la réglementation sans doute permissive sur la publicité dans une province devrait-elle avoir pour conséquence d’imposer ces publicités au reste du pays alors que les autres provinces ont décidé, à juste titre, que ces publicités peuvent être nuisibles?
Chers collègues, nous savons où nous en sommes et comment nous en sommes arrivés là. Voyons maintenant ce que ce projet de loi permettra et ne permettra pas de faire pour résoudre le problème.
Commençons par ce que cette loi ne fera pas. Elle n’interdira pas complètement les publicités pour les paris. Après avoir consulté le bureau du légiste pendant de longs mois — et probablement gagné quelques cheveux blancs —, après avoir examiné des cas et écouté des constitutionnalistes comme notre collègue le sénateur Cotter, désormais à la retraite, avec qui j’ai travaillé en étroite collaboration sur ce projet de loi, il a été décidé que les effets néfastes des publicités pour les paris n’atteignaient peut-être pas le seuil de nocivité que l’on observe par exemple avec les publicités pour les cigarettes, qui, après des décennies de batailles judiciaires, ont effectivement été interdites.
C’est le seuil qu’une publicité pour des paris devrait franchir devant la Cour suprême du Canada. Et bien que l’interdiction ait initialement été mon aspiration, mon approche et mon rêve, nous avons décidé qu’il était prudent ici de ne pas laisser le mieux être l’ennemi du bien et de demander des garde-fous raisonnables plutôt que de chercher une interdiction qui pourrait entraîner des années de batailles judiciaires. Pendant tout ce temps, ces entreprises seraient libres de faire de la publicité sans restriction et sortiraient probablement gagnantes de la confrontation en alléguant qu’une interdiction constitue une atteinte à leur liberté d’expression.
Qu’entend faire le projet de loi à la place? Comme dans le cas du projet de loi S-269, le projet de loi S-211 exigera du ministre du Patrimoine canadien qu’il élabore un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs. Le ministre devra énoncer :
[...] des mesures visant à réglementer la publicité sur les paris sportifs au Canada en vue d’en restreindre l’utilisation, de limiter les annonces en ce qui a trait à leur nombre, à leur portée et à leur emplacement — ou à toute combinaison de ceux-ci —, et à limiter ou interdire la participation de célébrités et d’athlètes à la promotion des paris sportifs;
Il devra aussi énoncer :
[...] des mesures visant à promouvoir, d’une part, la recherche et la communication intergouvernementale de renseignements au sujet de la prévention et du diagnostic du jeu pathologique chez les personnes mineures et, d’autre part, des mesures de soutien destinées aux personnes touchées;
— ainsi que, bien sûr —
[...] des normes nationales relatives à la prévention et au diagnostic du jeu pathologique et de la dépendance au jeu, et relatives aux mesures de soutien destinées aux personnes touchées.
Il ne faut pas oublier que, pour y arriver, le ministre devra consulter :
[...] le ministre de l’Industrie, le ministre de la Justice, le ministre de la Santé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, le ministre responsable de la santé mentale et des toxicomanies, le ministre des Services aux Autochtones, et tout autre ministre dont il estime les responsabilités pertinentes;
Il devra également consulter « [...] des représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux, notamment ceux responsables de la protection du consommateur, de la santé, de la santé mentale et des dépendances ».
Le ministre devra aussi consulter « divers intéressés »
— et nous avons appris qu’ils étaient nombreux —
[...] notamment des personnes qui défendent leurs droits, des prestataires de services et des représentants des milieux de la santé et de la recherche et d’organisations œuvrant dans les secteurs de la publicité et des jeux de hasard qui, de l’avis du ministre, possèdent une expérience et une expertise pertinentes [...]
Enfin, ce projet de loi fait également référence au CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
L’article 6 stipule que le CRTC :
[...] procède à l’examen de ses règlements et politiques afin d’en évaluer la pertinence et l’efficacité pour réduire l’incidence des préjudices résultant de la prolifération de la publicité sur les paris sportifs.
En ce qui a trait à la responsabilité, le conseil doit présenter ses conclusions et recommandations au ministre dans l’année suivant la date à laquelle la présente loi reçoit la sanction royale. En retour :
Le ministre fait déposer le rapport devant chaque chambre du Parlement dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant la date de sa réception.
Je pourrais continuer, chers collègues, sur les problèmes auxquels nous serons confrontés dans ce pays si nous ne réglementons pas mieux ce genre de publicité.
Je pourrais citer d’autres études, mais dans l’intérêt de faire passer rapidement ce projet de loi à la prochaine étape, comme je l’espère, je vous laisse sur les paroles de Lord Michael Grade, un ancien président de la BBC qui a également présidé un comité de la Chambre des lords sur le jeu compulsif au Royaume-Uni et qui a témoigné lors de l’étude du projet de loi S-269. Il nous a dit : « Avec la connaissance que vous avez [...] »
— le Canada —
[...] de ce qui se passe un peu partout dans le monde, particulièrement au Royaume-Uni, en Australie et dans d’autres pays, vous manqueriez à votre devoir — si je peux parler crûment — en ignorant le problème à présent que vous avez légiféré sur la question. Vous devez à présent combler une grave lacune dans la réglementation. Pour tracer la ligne entre la restriction et la liberté de faire des paris, vous pouvez vous appuyer sur plusieurs études de cas. [V]ous avez de la chance, d’une certaine manière, d’avoir accès à toute cette jurisprudence et à l’expérience provenant d’un peu partout dans le monde, qui vous aideront à prendre les bonnes décisions pour le Canada.
Voilà, chers collègues. Nous avons l’avantage d’avoir été prévenus. Nous connaissons le problème vers lequel nous nous précipitons. Notre approche actuelle est, au mieux, réactive et, au pire, permissive. Le Sénat a la possibilité de corriger le tir. Les entreprises ont la voie libre pour trouver des moyens créatifs de contourner la réglementation des provinces dès que de nouvelles dispositions entrent en vigueur. Alors que certaines provinces autorisent la création de marchés privés sur leur territoire, ce qui semble inévitable, le Canada se retrouvera avec une mosaïque de dispositions législatives provinciales dont l’efficacité dépendra du dénominateur commun le plus faible, étant donné que, comme nous l’avons déjà vu, les publicités diffusées sur les ondes ne tiennent pas compte des frontières provinciales.
Nous devons agir rapidement et battre le fer pendant qu’il est chaud, ou à peu près chaud. Comme nous le savons tous, il existe un sentiment renouvelé de coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral alors que nous sommes confrontés à un paysage géopolitique en constante évolution. La coopération est dans l’air, et le leadership fédéral est au premier plan. Il n’y a pas de meilleur moment pour essayer d’harmoniser les normes publicitaires nationales dans ce domaine, comme c’est le cas pour le cannabis et l’alcool. Pourquoi hausser les épaules devant la dépendance au jeu qui, comme je l’ai souligné, a des effets néfastes très réels sur les individus et la société?
Le prochain sommet du G7, qui se tiendra au Canada, nous incitera également à nous pencher sérieusement sur cette politique. Le forum mondial sur le jeu responsable et les politiques en matière de jeu, qui s’inscrit dans le cadre du sommet du G7 sur l’économie du cerveau au Canada, doit se tenir à Calgary les 13 et 14 juin, c’est-à-dire la semaine prochaine.
Cette initiative s’harmonise officiellement avec l’Assemblée générale des Nations unies et avec la présidence canadienne du G7, la présidence sud-africaine du G20 et le forum d’action sur l’économie du cerveau du Forum économique mondial, ainsi que les priorités relatives à la santé du cerveau, au capital humain et à la résilience économique. Le Canada ne pourra montrer qu’il est capable de jouer un rôle de premier plan dans ce domaine que lorsqu’il commencera à s’attaquer à l’ampleur du problème chez lui.
Chers collègues, dans cet esprit, je vous demande de faire preuve d’indulgence pour que ce projet de loi soit adopté rapidement et renvoyé à l’autre endroit, afin que les Canadiens d’un océan à l’autre se rapprochent de la protection contre les méfaits avérés de la promotion des jeux d’argent à l’échelle que nous connaissons aujourd’hui.
Merci.
L’honorable David M. Wells : Sénatrice Deacon, accepteriez-vous de répondre à une question, je vous prie?
La sénatrice M. Deacon : Oui.
Le sénateur D. M. Wells : Vous savez, évidemment, que j’ai participé très étroitement en tant que parrain au Sénat du projet de loi sur les paris sportifs lorsqu’il a été présenté il y a quelques années. Je vous remercie d’avoir présenté de nouveau ce projet de loi. Je l’aime bien. Je pense qu’il est nécessaire, mais je reconnais également qu’il s’agit d’un cadre et qu’il ne prévoit pas de mesures qui seraient inscrites dans les lois, car celles-ci relèvent actuellement des provinces.
Quelles sont certaines des mesures que vous souhaiteriez voir mises en œuvre un jour et qui offriraient les protections que vous recherchez, des protections qui, je pense que nous en conviendrons tous, sont nécessaires?
La sénatrice M. Deacon : Merci de cette importante question, sénateur Wells.
Au pays et à l’étranger, et avec la contribution de parents qui sont désemparés, nous tirons des leçons sur ce que nous pouvons examiner et améliorer pour serrer davantage la bride.
L’une des suggestions consiste à ne pas présenter de publicité cinq minutes avant la sonnerie ou le coup de sifflet lors d’un match et jusqu’à cinq minutes après un match. Un autre élément pourrait être le moment de la journée : la diffusion de messages publicitaires ne commencerait qu’après 21 ou 22 h. Ce sont là quelques-uns des éléments de base qui signaleraient un début. Il existe d’autres exemples de ce type.
Dans le cadre du processus de consultation, comme celui qui consiste à rencontrer des représentants de 43 pays en personne au Lac Leamy, nous avons discuté du problème et de ce que l’on fait pour y remédier. Nous avons entendu un certain nombre de suggestions et de stratégies.
Nous sommes en faveur d’une interdiction totale, mais nous ne pensons pas que cela soit réaliste pour le moment. Alors, comment faire pour minimiser l’exposition? Comme je l’ai dit dans mon discours sur le projet de loi, une partie de la solution réside dans la sensibilisation. J’ai une feuille de calcul sur ce qui a été gagné dans la province — quel montant d’argent cela génère — afin de mieux comprendre où l’on se dirige, en vue de nous attaquer à certains problèmes et à ce dont je parle aujourd’hui.
Ce n’est pas une conversation facile, car beaucoup d’argent est en jeu. Les entreprises font de l’argent, mais elles participent elles aussi aux discussions.
L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : La sénatrice Deacon accepte-t-elle de répondre à une question?
(1800)
La sénatrice M. Deacon : Oui.
Le sénateur Housakos : Merci. Je vous remercie de présenter de nouveau cet important projet de loi. Nous avons également eu le privilège de l’étudier un peu ensemble au Comité des transports et des communications au cours de la dernière législature.
Je dois admettre que je suis un peu moins préoccupé par le désagrément que les gens peuvent ressentir en étant bombardés de publicités sur les paris sur les manifestations sportives lorsqu’ils regardent un match des Blue Jays ou de la Coupe Stanley. Je pense que les Canadiens finiront par s’en remettre.
Je suis davantage préoccupé par le fait que de nombreuses personnes, en particulier des jeunes, développent une dépendance; c’est une terrible maladie qui entraîne des difficultés sociales et économiques.
J’aimerais donc vous poser la question suivante. Ce projet de loi aura-t-il une incidence ou risque-t-il d’avoir une incidence sur un média en déclin qui a grand besoin de revenus — d’argent — et qui dépend de ces revenus publicitaires surabondants pour l’aider à faire face à une situation qui, nous en convenons tous, est devenue problématique sur le marché des médias grand public?
Quelle incidence cela aura-t-il également sur des institutions comme la Ligue canadienne de football, qui est très importante au Canada? Que feront les organisations sportives professionnelles comme la Ligue canadienne de football sans les revenus publicitaires de la télévision et de la radio? A-t-on examiné toutes ces répercussions?
Je vais également poser une autre question, la plus importante : avons-nous des données sur le pourcentage ou le nombre réel de Canadiens qui participent aux paris sportifs en ligne? Je sais que c’est difficile, mais avons-nous des données qui indiquent le pourcentage de personnes qui deviennent victimes de cette dépendance au jeu ou qui prennent la terrible habitude de jouer?
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie, sénateur Housakos, de cette question. Je vais y répondre en abordant trois éléments.
Tout d’abord, vous affirmez qu’il est un peu ennuyeux d’être bombardé de publicités quand on regarde une partie des Blue Jays. Vous qualifiez cela de simple distraction. Je veux m’attarder à cela un instant pour dire que oui, pour les gens de notre tranche d’âge, c’est juste agaçant. C’est ennuyeux. Il s’agit uniquement d’une source de distraction que nous aimerions voir disparaître.
Cependant, j’aimerais vous parler des effets psychologiques et des effets en général sur les jeunes. C’est ce qu’étudie Steve Joordens de l’Université de Toronto, plus particulièrement comment ce qui touche une jeune personne se répercute sur huit autres jeunes dans son entourage. C’est vraiment fascinant.
Lors des études en comité ou des réunions auxquelles j’ai assisté, j’ai appris comment fonctionne le cerveau des jeunes. La façon différente dont cet enjeu touche les gens plus âgés et les gens plus jeunes était le premier enjeu que je voulais soulever.
Ensuite, il y a la partie qui concerne l’argent, la production de revenus. Lorsque nous parlons aux personnes qui génèrent des revenus, nous leur rappelons que nous n’interdisons pas les paris ni la publicité. Lorsqu’ils examinent les chiffres et la réduction de leurs revenus qu’entraînent nos politiques, ils se rendent compte que celles-ci ne vont pas les faire disparaître ni avoir autant d’incidence sur leur revenu qu’on pourrait le penser.
Maintenant, pour répondre à la question du sénateur Housakos, nous n’avons pas les chiffres exacts. Ce que nous disons, et ce qu’on nous dit, c’est que, compte tenu de ce que vous envisagez de faire, ces entreprises continueront de faire beaucoup d’argent. Nous en parlons au Canada et à l’étranger.
L’une des raisons pour lesquelles c’est un sujet important — il y a 43 pays représentés à Lac-Leamy —, c’est la Coupe du monde, qui se tiendra sous peu. Les organisateurs de la Coupe du monde — de soccer ou football — essaient vraiment de comprendre les répercussions des paris dans le monde entier et de savoir quels seront les revenus dont vous parlez.
Pour ce qui est de la question sur les données et sur le nombre et le pourcentage de Canadiens concernés, nous recueillons de plus en plus de données au Canada et dans certaines régions du pays. La prorogation a notamment permis de recueillir de plus en plus de données. Les deux types de données que nous avons sont essentiellement les pourcentages indiqués dans le sondage effectué par le Maru Group auprès des Canadiens, dont j’ai parlé dans mon discours, et le nombre de publicités diffusées dans différents médias, qui ne va pas en diminuant, mais en augmentant.
Par conséquent, lorsque nous passerons à l’étude au comité, je pense qu’il y aura quatre autres sources de données canadiennes qui indiqueront de façon très convaincante que la situation ne s’est pas stabilisée, qu’elle ne s’atténue pas, mais qu’elle se poursuit. Merci.
L’honorable Pat Duncan : La sénatrice Deacon accepterait-elle de répondre à une autre question?
La sénatrice M. Deacon : Oui.
La sénatrice Duncan : Premièrement, je voudrais sincèrement vous remercier d’avoir présenté ce projet de loi, encore une fois.
Je pense qu’il est très important.
Je voudrais revenir sur certaines des données que vous avez présentées et je voudrais savoir s’il serait possible d’y avoir accès.
Quand Diamond Tooth Gerties a été la première maison de jeu à obtenir une licence au Canada, à Dawson City, au Yukon, l’exigence pour l’octroi de la licence était que l’argent retourne dans la collectivité. Ce qui me préoccupe, c’est la possibilité de suivre la trace de l’argent. Où se retrouve réellement l’argent joué en ligne au Canada? Avez-vous des données par province, par territoire et par autorité responsable?
J’ai compris qu’on faisait l’achat de plages horaires, que la question des fuseaux horaires serait aussi importante. Si vous avez ces informations, pourriez-vous, s’il vous plaît, nous les communiquer?
La sénatrice M. Deacon : Je ne vous parlerai pas aujourd’hui de chacune des lignes du tableau, mais nous avons passé beaucoup de temps à établir une feuille de calcul regroupant des données d’un océan à l’autre. Vous avez donc accès à ces données.
Quant à l’autre élément auquel vous vous intéressez...
La sénatrice Duncan : Où va l’argent?
La sénatrice M. Deacon : En effet. J’ai posé cette question tellement souvent. Nous avons du mal à obtenir ces renseignements pour le moment, mais nous les avons demandés. Nous avons reçu ce que j’appellerais des bribes de réponse de la part de l’Ontario, quelques informations de base. Mais il y a aussi un aspect de reddition de comptes qui doit être grandement renforcé.
Je vous dirais, en toute franchise, qu’on parle parfois du manque de services, des besoins en matière de soutien, de santé, d’activités, de sports, mais que faisons-nous de certains de ces revenus ou de la TPS, par exemple? Il serait vraiment intéressant que ces fonds servent à financer certains domaines à l’échelle provinciale, car c’est là qu’ils se trouvent. Il faut garder à l’esprit le défi juridictionnel qui se pose ici, car il s’agit d’une compétence provinciale, et chercher une meilleure transparence. Voilà notre défi. Nous demandons aux personnes concernées quel est le rendement, mais nous avons du mal à avoir des réponses. Merci.
L’honorable Denise Batters : J’aimerais poser une courte question. Plus tôt, le sénateur Housakos a parlé des répercussions possibles sur la Ligue canadienne de football. Toutefois, à ce que je comprends, je ne pense pas que cette ligue tire des revenus de ces types de publicités sur les paris. Je pense que les revenus vont tout simplement à TSN, parfois à CTV, c’est-à-dire aux télédiffuseurs de ces matchs. Est-ce exact?
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de la question. Je précise d’abord que nous discutons de la publicité et de l’argent généré par celle-ci.
Que trouve-t-on sur les casques des joueurs de la Ligue canadienne de football ou des joueurs de hockey? Vous le savez probablement mieux que moi, sénatrice Batters. Ils sont évidemment couverts de logos. Ce sont des logos publicitaires de commanditaires de l’équipe en question, n’est-ce pas?
Ce sont de très bonnes questions parce qu’il existe des millions de modèles d’affaires différents. Je dirais que je me suis forgé des défenses un peu plus solides parce que j’ai eu des conversations très intéressantes et instructives, mais aussi assez effrayantes, sur la façon dont cela se passe d’une entreprise à l’autre et au sein des médias.
Nous pourrions dire que de telles pratiques ne devraient pas exister. Je suis d’avis que nous devons regarder de plus près certains de ces acteurs — je vais les appeler des conglomérats médiatiques — pour déterminer quelles entreprises ils détiennent et ce qu’ils font dans ce domaine.
C’est pourquoi ces gens aux points de vue très différents doivent également participer aux consultations des intervenants pour établir ce cadre.
(Sur la motion du sénateur Housakos, le débat est ajourné.)
(1810)
La Loi constitutionnelle de 1982
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Peter Harder propose que le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1982 (disposition de dérogation), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, il est un brin poétique que ces murs, qui ont été le théâtre de négociations visant à rapatrier la constitution canadienne, soient à nouveau le théâtre d’un débat visant à restreindre l’un des compromis fondamentaux qui ont marqué ce rapatriement.
Le bâtiment du Sénat du Canada où nous nous trouvons actuellement était autrefois le Centre de conférences du gouvernement. De grands noms de la politique s’y réunissaient pour discuter d’une pléthore d’idées lancées par le gouvernement fédéral de Pierre Elliot Trudeau.
Le rapatriement a transféré l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, rebaptisé Loi constitutionnelle de 1867 — la loi suprême de la nation — de l’autorité du Parlement britannique au Canada. Outre la suppression de l’emprise des Britanniques sur nos activités nationales, le rapatriement visait à introduire des modes de révision pour modifier la Constitution chez nous.
Aucune idée n’était plus grande, ni plus influente, que la Charte canadienne des droits et libertés, et aucun compromis n’a été discuté plus en détail que l’acceptation de l’article 33 de la Charte, connu sous le nom de clause dérogatoire.
Quel était le compromis en question? Le gouvernement fédéral obtenait le rapatriement de la Constitution, qui changerait à jamais le paysage des droits au Canada, et les provinces — grâce à la clause dérogatoire qu’elles avaient demandée — garantissaient leur suprématie législative sur les tribunaux en cas de conflit important au sujet de droits.
Pour les besoins de mon intervention, j’utiliserai indifféremment les termes « disposition de dérogation », « article 33 » et « dérogation ».
Le premier ministre Pierre Trudeau n’a trouvé aucun plaisir à inclure la disposition de dérogation et il l’a clairement fait savoir pendant et après le processus d’adoption de la Charte. Jean Chrétien, procureur général à l’époque, a écrit dans son livre Mes histoires :
Après 1982, chaque fois que je rencontrais Pierre Elliot Trudeau, il manquait rarement une occasion d’exprimer sa frustration d’avoir été contraint d’accepter l’article 33.
Pourquoi cela? Eh bien, Pierre Elliot Trudeau regrettait que la Charte ne soit pas pleinement inscrite dans la Constitution, car les gouvernements pouvaient encore restreindre les droits en recourant à la disposition de dérogation. Pourtant, c’est précisément grâce à ce compromis que nous avons aujourd’hui la Charte. Ceux qui ont participé aux discussions constitutionnelles s’accordent à dire que sans l’article 33, il n’y aurait pas eu de Charte.
Le compromis est la pierre angulaire d’une démocratie fonctionnelle. Les électeurs peuvent choisir leurs représentants et faire des compromis sur leur choix dans l’intérêt supérieur de la population. Les gouvernements peuvent faire des compromis pour faire adopter les engagements de leur programme, en particulier les gouvernements minoritaires. Même nous, en tant que sénateurs, avons fait des compromis pour faire avancer les travaux ou simplement pour nous entendre sur un rapport de comité. C’est un moyen efficace de s’assurer que tous les points de vue exprimés sont pris en compte.
Le compromis peut toutefois être ardu, comme l’ont montré les négociations constitutionnelles du début des années 1980. Il peut également demander beaucoup de travail.
Il est devenu de plus en plus évident que, lorsqu’il est question de la Charte des droits et libertés des Canadiens, les gouvernements populistes préfèrent éviter tout compromis en invoquant la disposition de dérogation. Ils le font souvent de manière préventive, allant ainsi à l’encontre des intentions des représentants provinciaux qui s’étaient battus pour obtenir cette clause.
Thomas Axworthy a brillamment résumé la situation en déclarant :
Désormais, avec l’augmentation exponentielle de la polarisation et de la partisanerie, le compromis semble avoir perdu de son attrait par rapport aux joies de la ferveur envers une cause unique.
La politique est devenue un sport sanglant. La rhétorique et le théâtre que font les partis politiques, certains plus que d’autres, visent à diviser et à cultiver les antagonismes. La base suit aveuglément le parti, et les faits, la logique et la raison n’ont plus aucun pouvoir de persuasion.
Le compromis devient vain, car il est impossible d’échanger avec celui que l’on considère comme son ennemi. Ce n’est pas tout le monde qui encourage et utilise cette approche, mais elle est suffisamment répandue pour nuire aux institutions politiques.
Bien que ce soient les provinces qui aient fait, selon moi, un usage abusif de la disposition de dérogation, en avril 2024, lors d’une allocution devant l’Association canadienne des policiers, l’ancien chef de l’opposition, Pierre Poilievre, a laissé entendre, sans grande subtilité, qu’il l’utiliserait pour certaines réformes du système de justice pénale.
Cette année, le 15 avril, pendant la campagne électorale, M. Poilievre est allé encore plus loin et a explicitement déclaré l’intention d’un gouvernement conservateur d’invoquer la disposition de dérogation pour l’imposition de peines consécutives. Voilà un exemple de la ferveur envers un seul enjeu dont parlait M. Axworthy.
À l’époque du discours de l’Association canadienne des policiers, l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire semblait certaine, ce qui a certainement influé sur le calcul de l’ancien chef du Parti conservateur. La disposition de dérogation n’a jamais été utilisée au fédéral, et l’annonce de M. Poilievre m’a beaucoup inquiété.
La disposition de dérogation est en suspens depuis 43 ans, et pourtant, aucun premier ministre n’a clarifié la position du gouvernement fédéral sur son utilisation. Il a fallu la menace d’une provocation fédérale pour que le Parlement — y compris nous au Sénat — se réveille et qu’il réfléchisse à la meilleure façon de traiter une telle affaire si elle se présentait. Comment pouvons-nous justifier l’utilisation de la disposition de dérogation compte tenu de nos devoirs constitutionnels dans cette enceinte?
À partir de la motion que j’ai présentée au printemps dernier, j’ai décidé de transformer cette discussion en action. Pour ceux qui n’étaient pas ici à l’époque ou qui ne se souviennent pas de ma motion, elle demandait au Sénat d’indiquer qu’il ne devrait adopter aucun projet de loi contenant une déclaration en vertu de l’article 33 de la Charte des droits et libertés, communément appelé la disposition de dérogation.
Je vous encourage à lire mon discours et, plus important encore, ceux de la sénatrice Ringuette, du sénateur Cotter et de la sénatrice Simons, qui ont également participé aux débats. Soit dit en passant, mon intervention sur cette motion explique pourquoi j’ai présenté le projet de loi S-218. Le libellé de la motion se voulait provocateur pour inspirer la discussion et le débat. De même, vous constaterez que le projet de loi S-218 est tout aussi provocateur, si ce n’est pas plus. Il vise à modifier la Constitution.
Aurait-il pu s’agir d’un projet de loi distinct? Bien sûr que oui. Cependant, je n’ai pas cherché à en faire un projet de loi distinct pour plusieurs raisons. Tout d’abord, chercher à modifier la manière dont le gouvernement fédéral aborde les droits et libertés fondamentaux dans notre pays — en particulier des droits et libertés de cette ampleur — devrait être fait avec le plus grand sérieux.
Ensuite, une modification constitutionnelle attire l’attention. L’objectif est de susciter des réactions pour garantir un débat et une étude en profondeur d’un sujet important.
Un texte législatif distinct restreignant le recours à l’article 33 relève pratiquement de la modification constitutionnelle. Je veux être direct en affirmant que l’intention est de modifier la Constitution, et non de donner l’impression de le faire de façon détournée.
Il n’est pas facile de modifier la Constitution en raison de la procédure de modification constitutionnelle établie en même temps que la Charte. Toutefois, la procédure de modification prévue à l’article 44, qui traite des modifications unilatérales fédérales à la Constitution, peut être utile.
Notre ancien collègue, le sénateur Cotter, a reconnu que cela pourrait être le cas lorsqu’il s’est exprimé au sujet de ma motion. J’espère que le sénateur Gold partage son avis. J’ai hâte d’entendre sa contribution au débat.
À titre de rappel, la procédure de modification unilatérale prévue à l’article 44 est libellée comme suit, sous la rubrique « Modification par le Parlement » :
Sous réserve des articles 41 et 42 […]
— c’est-à-dire la modification par consentement unanime et la modification par procédure normale —
[…] le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
Cette procédure est l’une des plus faciles à mettre en œuvre et a déjà été utilisée dans le passé pour augmenter le nombre de sièges à la Chambre des communes et pour assurer la représentation du Nunavut au Sénat après sa création en 1999.
Le projet de loi S-218 constitue une utilisation plus créative de cette formule de modification, mais qui, à mon avis, en saisit bien la nature. Il ne perturbe pas les autres formules de modification ni l’architecture sous-jacente de la Constitution telle qu’elle a été décrite par la Cour suprême dans son renvoi sur la réforme du Sénat en 2014.
Il s’agit d’une modification relativement simple à l’application fédérale de cet article. Le projet de loi S-218 s’intitule « Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1982 (disposition de dérogation) », et il modifie la Constitution pour insérer l’article 33.1 après l’article 33, qui porte sur la dérogation.
(1820)
La première disposition de ce projet de loi, le nouveau paragraphe 33.1(1), figure sous la rubrique « Application ». Cela indique clairement que le projet de loi ne vise que le Parlement fédéral et exclut les provinces. L’inclusion des provinces nécessiterait une procédure de modification différente, assortie des consultations nécessaires. Cela n’est pas viable dans le cadre d’un projet de loi d’intérêt public du Sénat. De plus, les sénateurs remarqueront peut-être que le libellé de cette disposition est repris presque mot pour mot de l’alinéa 32(1)a) de la Charte, qui traite de l’application de la Charte dans son ensemble. Cela assure la continuité avec le libellé de ce paragraphe proposé tout en confirmant son inapplicabilité aux provinces.
La disposition suivante, le nouveau paragraphe 33.1(2), introduit des termes qui s’appliquent au projet de loi. Le premier est « déclaration », qui désigne une déclaration de disposition de dérogation conforme à l’article 33 de la Charte selon laquelle une loi ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la Charte. Ces articles ont trait à nos libertés fondamentales, à nos garanties juridiques et à nos droits à l’égalité.
Le deuxième terme est « projet de loi attentatoire ». Un projet de loi attentatoire désigne tout projet de loi contenant une déclaration. Ces termes apparaissent dans le projet de loi, et il est utile d’en comprendre le sens.
Le paragraphe 33.1(3) proposé est simple. Il stipule qu’un projet de loi attentatoire doit obligatoirement prendre naissance à la Chambre des communes et y être présenté par un ministre. Bien que le gouvernement puisse, dans certains cas, choisir d’entamer le processus législatif de ses projets de loi au Sénat, que ce soit pour des raisons d’efficacité ou pour avoir une idée de la position du Sénat sur un projet de loi particulier, en vertu de ce paragraphe du projet de loi S-218, tout projet de loi attentatoire devrait, à l’origine, être déposé par un ministre à la Chambre des communes, comme c’est le cas pour les projets de loi de crédits et les projets de loi fiscaux.
J’ai décidé d’aborder la question des projets de loi attentatoires de cette manière parce que les mesures de protection actuelles intégrées dans la Charte des droits et libertés concernant l’utilisation de la disposition de dérogation et le compromis effectué par le gouvernement fédéral et les provinces afin d’assurer le rapatriement de la Charte nécessitent un électorat informé et engagé pour surveiller de près les gouvernements, faire pression et exiger des comptes. C’est ce que prévoient à l’heure actuelle les paragraphes 33(3) à 33(5) de la Charte, limitant à cinq ans tout recours à la disposition de dérogation et obligeant le gouvernement à réadopter une déclaration pour son maintien. Une période de cinq ans engloberait normalement une période électorale, ce qui garantirait aux électeurs la possibilité de renverser le gouvernement s’ils découvraient que les violations des droits découlant du recours à la dérogation constituent la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
J’ai fait valoir dans mon discours sur la motion que je ne pense pas que cela soit suffisant pour protéger les droits contre les violations. C’est également pour cette raison qu’un projet de loi qui porte atteinte à des droits doit être présenté en premier lieu à la Chambre des communes, où siègent les élus. Nous ne sommes pas élus et ne sommes donc pas habilités à amorcer un tel débat.
La disposition suivante porte sur les décisions antérieures. Il s’agit d’un élément extrêmement important du projet de loi S-218, car il supprime la possibilité pour le gouvernement fédéral d’utiliser de manière préventive la disposition de dérogation. L’utilisation préventive est à l’origine des abus commis récemment par les provinces et elle a permis de mettre bien en évidence les raisons pour lesquelles ce type de recours à la disposition de dérogation devrait être complètement interdit au niveau fédéral. Le compromis visant à intégrer cette disposition dans la Charte n’a jamais prévu son invocation avant que le pouvoir judiciaire ne se soit prononcé.
Lorsque Doug Ford a voulu recourir pour la première fois à titre préventif à la disposition de dérogation en 2018 afin de réduire la taille du conseil municipal de Toronto, Jean Chrétien, Roy Romanow et Roy McMurtry se sont opposés à cette mesure, affirmant qu’elle allait à l’encontre de l’esprit du compromis. C’est très important, car ce sont les trois personnes qui, lors d’une « réunion de cuisine », ont imaginé le compromis sur la disposition de dérogation qui a permis le rapatriement de la Constitution.
Aux fins du présent projet de loi, deux voies permettent aux juges de se prononcer. La première est que l’on renvoie un projet de loi ou l’une de ses dispositions à la Cour suprême en vertu de l’article 53 de la Loi sur la Cour suprême et que cette dernière juge ce projet de loi ou cette disposition inconstitutionnel. La seconde est le processus habituel par lequel une partie extérieure conteste la constitutionnalité d’une loi ou de l’une de ses dispositions et arrive à porter la cause devant la Cour suprême, la cour d’appel final, qui la juge alors inconstitutionnelle. Dans les deux cas, l’inconstitutionnalité devrait être liée à l’article 2 ou aux articles 7 à 15 de la Charte, comme l’exige actuellement l’article 33.
Si notre plus haut tribunal établit l’inconstitutionnalité d’une loi ou de l’une de ses dispositions, le ministre pourrait alors présenter un projet de loi attentatoire, mais son libellé doit correspondre à celui des dispositions jugées inconstitutionnelles par le tribunal. Si le libellé diffère de celui qui a déjà été contesté devant les tribunaux, cela pourrait invalider le processus d’adoption du projet de loi attentatoire. Nous savons tous que le libellé est important lors de la rédaction des lois.
De plus, comme l’ont écrit Sujit Choudhry et George Anderson dans le cadre d’un symposium en l’honneur de Peter Hogg :
[...] interdire le recours préventif [...] augmente le coût politique et réduit la probabilité de son utilisation en obligeant le gouvernement à composer avec un jugement déclarant une loi inconstitutionnelle [...]
Cette mesure contribue à améliorer la communication entre les tribunaux et les pouvoirs exécutif et législatif, comme prévu à l’origine.
Les quatre dispositions suivantes du projet de loi S-218 visent à garantir que l’information quant à la nature des violations des droits et aux motifs invoqués par le gouvernement pour justifier le recours à une dérogation dans le cadre d’un projet de loi attentatoire est rendue publique et connue. La première disposition prévoit l’inclusion d’un préambule qui expose les motifs de la déclaration dans un projet de loi attentatoire. Les préambules sont courants dans la rédaction des textes législatifs.
La disposition suivante, le paragraphe 33.1(6), exige qu’un énoncé concernant la Charte soit déposé avec le projet de loi attentatoire et qu’il expose, d’une part, les conséquences que pourrait avoir le projet de loi sur les droits garantis par l’article 2 et les articles 7 à 15 et, d’autre part, les motifs pour lesquels une dérogation à ces articles ne peut être justifiée uniquement au regard de l’article 1 de la Charte. Cette disposition permet aux gouvernements d’empiéter sur les droits garantis par la Charte sous réserve de limites raisonnables prescrites par la loi. Le gouvernement doit expliquer en détail pourquoi il a choisi d’invoquer la disposition de dérogation plutôt que d’utiliser le critère bien connu pour se conformer à l’article 1.
Comme l’a dit le sénateur Cotter lors du discours qu’il a prononcé à la dernière Halloween, la disposition de dérogation :
[...] délégitime de façon anticipée de nombreux droits et, implicitement, la valeur de l’article 1 — la disposition sur les conditions permettant de restreindre un droit —, et la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, qui a élaboré une approche sophistiquée de l’article 1.
Le gouvernement devrait être tenu d’expliquer sa position à l’avance.
La disposition subséquente se situe sous la rubrique « Attribution de temps ». Tout simplement, elle élimine la possibilité de limiter la durée du débat sur un projet de loi de loi attentatoire. Elle s’applique à la Chambre des communes et au Sénat. Cette mesure est essentielle pour veiller à ce que ces questions importantes soient examinées en détail avant la tenue d’un vote.
Le paragraphe 33.1(8) du projet de loi S-218 est semblable à celui de la disposition précédente, mais porte sur les comités pléniers dans les deux Chambres. Si un projet de loi attentatoire est renvoyé à un comité, un comité plénier ne peut pas être utilisé pour en accélérer l’étude. L’étude en comité est le travail le plus important qu’effectuent les députés et les sénateurs. C’est à cette étape que l’on procède à une analyse approfondie et que l’on entend les experts. Nous utilisons les renseignements ainsi obtenus pour compléter notre réflexion en tant que législateurs et offrir des solutions ou des compromis possibles. L’élimination de l’étude en comité sur une question aussi fondamentale que les droits garantis par la Charte constitue de la négligence et de l’insensibilité, en particulier pour les populations minoritaires, qui se situent le plus souvent du mauvais côté des violations des droits de la personne.
J’espère que ces quatre dispositions aideront à mieux informer les Canadiens sur les mesures législatives qui touchent fondamentalement leurs droits constitutionnels, afin que la disposition de caducité au bout de cinq ans prévue dans la Charte puisse fonctionner comme prévu. La disposition de dérogation doit restreindre les tribunaux, et la population doit restreindre le gouvernement, mais quelles restrictions s’appliquent face à une population mal informée? Si les Canadiens ne sont pas conscients que leurs droits sont bafoués, la disposition de caducité au bout de cinq ans est sans effet. Les gouvernements populistes choisiront la voie de la facilité pour parvenir à leurs fins, comme nous l’avons vu au niveau provincial. Des garde-fous sont nécessaires.
La dernière disposition modifierait les exigences concernant les votes à la Chambre des communes. Selon cette proposition, une motion portant troisième lecture d’un projet de loi attentatoire nécessiterait une majorité qualifiée de 66 % des voix de tous les députés, soit 227 voix sur 343. De plus, si un gouvernement majoritaire a plus de 227 sièges, un autre parti reconnu doit appuyer le projet de loi attentatoire.
Cela ne s’appliquerait qu’à la Chambre des communes, et non au Sénat. C’est la Chambre élue qui devrait avoir le plus de poids dans le processus décisionnaire. Le Sénat envisagera la même chose en temps et lieu, mais en tenant compte de la décision de la Chambre élue. Il s’agit d’une mesure de reddition de comptes et de transparence, et j’espère que la Chambre l’approuvera.
(1830)
Ne nous méprenons pas, les modifications proposées visent à rendre l’invocation de l’article 33 par le gouvernement fédéral plus difficile, mais pas impossible. Je crois que ces modifications vont dans le même sens que les intentions initiales de ceux qui ont rédigé cet article, il y a plus de quatre décennies. En 2025, c’est plus important que jamais. Aujourd’hui, bien des Canadiens ne savent pas en quoi consistent les droits garantis par la Charte ou ce que cela signifie, et ils connaissent peu la disposition de dérogation. Cela s’explique simplement par le temps qui passe ainsi que par le fait que la disposition a été relativement peu invoquée jusqu’en 2018. Cependant, c’est aussi en raison de la façon dont de nombreux Canadiens reçoivent de l’information et de leur méfiance envers les institutions et les autorités en général. Ce projet de loi vise justement à bien informer les Canadiens de leurs droits et de ce qu’une dérogation peut avoir comme conséquence pour eux.
Ne prenons pas de raccourcis, ralentissons le processus et veillons à ce que les Canadiens sachent ce qui est en jeu avant qu’un gouvernement fédéral invoque l’article 33 de façon abusive. C’est pour cela qu’un processus d’appel judiciaire complet doit être la norme avant la présentation d’un projet de loi attentatoire et qu’il faut encourager un débat sans entrave. Si un gouvernement veut passer outre à nos droits, il devrait s’expliquer en respectant ces critères.
Chers collègues, ces conditions ne sont pas toutes les miennes. J’ai évoqué les principes de Peter Lougheed dans mon discours sur la motion. M. Lougheed, qui était premier ministre de l’Alberta au moment des négociations constitutionnelles, ainsi que Sterling Lyon, du Manitoba, et Allan Blakeney, de la Saskatchewan, étaient des défenseurs acharnés de la notion de la disposition de dérogation.
M. Lougheed a parlé de la disposition de dérogation et de son inclusion dans la Charte lors d’une conférence très célèbre donnée à l’Université de Calgary, en 1991. Je voudrais citer ici ses propos :
Le but de la dérogation est de permettre un débat public responsable et transparent sur les questions relatives aux droits, ce qui pourrait être compromis si les législateurs étaient libres d’utiliser la disposition de dérogation sans discussion ni délibération ouverte sur les modalités pour y avoir recours. Il ne fait guère de doute que, lorsqu’ils défient la Cour suprême et passent outre un droit clairement établi, les pouvoirs publics doivent tenir compte de l’importance du droit en cause, de l’objectif de la loi contestée, de l’existence d’autres moyens moins intrusifs d’atteindre le même objectif stratégique et d’une foule d’autres questions. Il faut éviter que [...] les tribunaux deviennent responsables [a déclaré Lougheed] de déterminer si une limite est raisonnable ou manifestement justifiable dans une société libre et démocratique [...]
Ayant été témoin de l’utilisation de la disposition de dérogation au Québec, qui l’a appliquée à grande échelle à ses lois pour protester contre le fait d’être la seule province à ne pas avoir signé la Charte, et en Saskatchewan, qui l’a utilisée de manière préventive dans un projet de loi sur les relations de travail, M. Lougheed a conclu que l’objectif initial de la disposition n’était pas respecté et qu’elle n’offrait pas l’occasion d’un débat public responsable sur les questions relatives aux droits.
Après neuf ans de réflexion sur la disposition de dérogation, M. Lougheed propose, dans cette même conférence, trois modifications à l’article.
La première est que le Parlement — ou une assemblée législative — soit tenu de préciser l’objectif de tout projet de loi comportant des dérogations aux droits sous une forme standard. Il s’agit d’une proposition de la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, également connue sous le nom de Commission royale Macdonald. La recommandation de la commission se lit comme suit :
Les commissaires espèrent que par la clause de dérogation générale de la Charte, l’opinion publique prendra davantage conscience des législations qui peuvent limiter les droits constitutionnels des citoyens du Canada.
Les mesures législatives dérogatoires devraient comporter une déclaration selon laquelle celles-ci ont effet indépendamment d’une disposition de la Charte, et elles devraient comporter non seulement une référence aux droits précis auxquels elles dérogent, mais aussi une indication de l’objectif de la mesure législative.
Une telle déclaration aiderait les tribunaux à vérifier que les restrictions n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif; elle pourrait également constituer un point de référence utile dans les discussions sur le caractère opportun de prolonger la dérogation après la période de cinq ans.
Cette approche est couverte dans une certaine mesure dans le projet de loi S-218.
La deuxième modification proposée par M. Lougheed exigerait une majorité qualifiée de 60 % des voix. Il fait valoir que le recours à la disposition de dérogation est une action si substantielle de la part de l’assemblée élue qu’elle nécessite un niveau d’autorisation plus élevé qu’une majorité simple. Cela est conforme à un document de proposition de 1991 présenté par le gouvernement du Canada, intitulé Bâtir ensemble l’avenir du Canada, qui proposait une majorité qualifiée de 60 %. J’abonde dans ce sens et j’ai proposé à la place une majorité correspondant à tout le moins aux deux tiers, composée de deux partis reconnus, de manière à garantir le dialogue et le compromis.
La dernière proposition de modification de M. Lougheed garantit que la disposition de dérogation n’est jamais invoquée de manière préventive.
Il déclare :
À mon avis, ne pas avoir ce droit est antidémocratique dans la mesure où l’objectif de l’article 33 était la suprématie du Parlement sur la magistrature et non la domination ou l’exclusion du rôle de la magistrature dans l’interprétation des articles pertinents de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il a prévu que tous les droits d’appel soient épuisés avant le recours à la disposition, ce que vous trouverez sous la rubrique « Décision préalable » du projet de loi S-218, bien que j’aie proposé qu’une référence à la Cour suprême provoque également une intervention.
J’ai essayé d’intégrer les principes de M. Lougheed dans mon propre projet de loi parce que je crois, comme lui, qu’il s’agit de modifications pragmatiques qui préviendraient l’exploitation du fait que l’article 33, de par sa nature, ouvre la porte aux abus.
Certaines des principales associations juridiques canadiennes ont également réclamé des versions de la proposition de M. Lougheed afin de protéger ou de limiter le recours à la disposition de dérogation. Dans une lettre intitulée « Établissement de lignes directrices concernant le recours à la disposition de dérogation » adressée à Arif Virani, alors ministre de la Justice et procureur général, l’Association du Barreau canadien a proposé quatre lignes directrices, à savoir : l’interdiction du recours préventif à l’article 33; l’exigence d’un vote majoritaire des deux tiers au sein de l’assemblée législative ou du Parlement; l’exigence de consultations publiques significatives et transparentes avant le recours à la disposition; l’inclusion d’un préambule expliquant pourquoi on a jugé nécessaire d’invoquer la disposition.
Les lignes directrices proposées figurent toutes dans le projet de loi S-218.
En décembre 2024, l’Association canadienne des libertés civiles, ou ACLC, a également adressé au premier ministre d’alors, Justin Trudeau, une lettre intitulée « Le recours abusif à la disposition de dérogation constitue une menace pour notre Charte ». L’ACLC recommande trois limites, dont deux que nous connaissons bien : l’interdiction du recours préventif à la disposition et l’exigence d’une majorité qualifiée lors d’un vote. Ce document s’inscrit dans la campagne « Sauvons notre Charte », au sujet de laquelle on peut se renseigner sur le site Internet de l’ACLC, et traite des dommages causés par les recours récents à la disposition par les provinces.
La troisième limite mentionnée dans la lettre de l’association permettrait aux tribunaux d’examiner l’utilisation de la disposition de dérogation. Cela irait peut-être trop loin, je crois, compte tenu de l’objectif initial de l’inclusion de l’article 33 par les provinces. Si la consultation publique fait partie intégrante du processus de la disposition de dérogation, cela devrait suffire à apaiser les craintes d’une utilisation abusive. En d’autres termes, si l’on veut que les citoyens soient les seuls à pouvoir arbitrer les questions de droits, ceux-ci doivent être informés des avantages et des inconvénients du recours à la disposition avant que l’exécutif fédéral puisse confirmer que la province peut l’invoquer.
On peut se demander comment il est possible de légiférer sur ces lignes directrices alors que nous ne sommes pas en mesure de légiférer de manière restrictive pour les futurs gouvernements. Je dirais qu’il y a une différence entre légiférer sur des questions de fond et sur des exigences procédurales, ce que fait le projet de loi S-218. En effet, il impose des restrictions procédurales à l’adoption de projets de loi fédéraux invoquant la disposition de dérogation. Ces restrictions sont également connues sous le nom d’exigences de mode et de forme.
Selon Craig Scott, professeur à la Faculté de droit Osgoode Hall, les exigences de mode et de forme :
[...] des exigences légales qu’une législature cherche à imposer aux législatures futures sous la forme de conditions restrictives ou d’autorisations facilitantes concernant l’adoption, la modification ou l’abrogation de lois ou de règlements [...]
L’exigence de mode et de forme prévue par le projet de loi S-218 serait une condition préalable à la promulgation de lois contenant une disposition de dérogation.
Bien que le projet de loi S-218 légifère de manière restrictive en mettant en œuvre une exigence de mode et de forme, il ne prive pas les gouvernements fédéraux de la possibilité d’invoquer la disposition de dérogation, et les modifications qu’il prévoit ne sont pas à l’abri d’une abrogation. Il serait toutefois difficile de les abroger, compte tenu des motifs évoqués et de ce qui est protégé. L’un des plus éminents experts constitutionnels du Canada, le regretté Peter Hogg, était convaincu que les modifications de manière et de forme sont appropriées dans la structure juridique canadienne.
(1840)
Dans son ouvrage de référence sur le droit constitutionnel intitulé Constitutional Law of Canada, il a écrit :
Même si un corps législatif n’est pas lié par les limites auxquelles il s’astreint lui-même pour ce qui est du contenu, de la substance ou de la politique des textes de loi qu’il adopte, il est raisonnablement clair qu’un corps législatif peut être lié par les limites procédurales (ou de mode et de forme) auxquelles il s’astreint lui-même lorsqu’il légifère.
Il ajoute :
Est-ce que le Parlement ou une assemblée législative serait lié par des règles « de mode et de forme » qu’il se serait imposées lui-même relativement à la promulgation des lois? La réponse, à mon avis, est oui.
Si le projet de loi S-218 est adopté par le Parlement et reçoit la sanction royale, il s’agirait d’une loi auto-imposée : le Parlement aurait accepté les restrictions qu’il s’impose à lui-même.
Les restrictions de mode et de forme ne sont pas sans précédent. Par exemple, les provinces ont aboli leur Chambre haute au moyen d’une loi ordinaire, les rendant ainsi monocamérales. Il s’agit là d’une loi de mode et de forme. Le Parlement ou les assemblées législatives pourraient ajouter d’autres éléments à leurs processus législatifs pour toutes les lois ou pour certains types de lois, à condition que leur capacité à le faire ne soit pas usurpée par une formule de modification constitutionnelle. Oui, j’utilise une formule de modification constitutionnelle, mais il s’agit de la formule de modification unilatérale fédérale, et non d’une formule qui nécessite des consultations et la participation des gouvernements provinciaux.
Même si ce projet de loi cherche à rendre plus contraignante la législation relative à l’utilisation de la disposition de dérogation, Peter Hogg et Craig Scott citent tous deux l’exemple de Westminster, qui a utilisé des procédures de mode et de forme pour faciliter le travail législatif. La loi de 1911 sur le Parlement britannique a été promulguée par la Chambre des communes et la Chambre des lords. Elle prévoyait qu’un projet de loi pouvait être adopté sans le consentement des lords, s’il était adopté par la Chambre des communes et rejeté par la Chambre des lords au cours de trois sessions consécutives du Parlement sur une période d’au moins deux ans.
La Chambre des communes a utilisé une procédure de mode et de forme en 1949, sans le consentement de la Chambre des lords, pour assouplir davantage les mêmes dispositions, renforçant ainsi son pouvoir en limitant le pouvoir dilatoire de la Chambre des lords à deux sessions en une période d’un an.
La procédure de mode et de forme initialement établie par les lords a ensuite été utilisée contre eux.
Dans le chapitre sur le mode et la forme de son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, Hogg indique que pour qu’une disposition sur le mode et la forme soit pleinement efficace en droit, elle doit également s’appliquer à elle-même. On dit alors qu’elle est « doublement inscrite » ou « autoréférentielle ». Essentiellement, le mode et la forme ne doivent pas seulement s’appliquer à la catégorie protégée de lois — dans le cas présent, les lois fédérales qui invoquent la disposition de dérogation —, mais aussi aux lois qui visent à modifier ou à abroger la disposition sur le mode et la forme en elle-même. Si nous devions suivre sa recommandation, les critères que j’ai fournis pour permettre le recours à la disposition de dérogation s’appliqueraient aussi aux modifications visant à amender ou à abroger les dispositions issues de ce projet de loi. J’ai décidé de ne pas opter pour la double inscription de cette disposition, et je suis heureux de voir que le sénateur Gold acquiesce de la tête.
Le fait qu’une modification constitutionnelle soit demandée devrait suffire à dissuader les futurs gouvernements d’essayer d’abroger cette mesure législative. Ce ne serait pas une stratégie gagnante que de tenter de réduire ces droits que nous essayons de protéger en abrogeant les dispositions issues du projet de loi S-218.
C’est en modifiant la Constitution que les exigences de mode et de forme gagnent en crédibilité. En modifiant la Constitution à ces fins, ces changements feront également partie de notre loi suprême.
Un projet de loi distinct visant le même objectif n’aurait pas le même poids ni le même effet dissuasif. C’est une autre raison pour laquelle j’ai jugé approprié de modifier la Constitution elle-même plutôt que d’adopter une approche externe sous la forme d’un projet de loi distinct.
Prendre la voie difficile constitue la bonne approche. Le gouvernement fédéral démontre ainsi son leadership et l’importance qu’il accorde à la protection des droits fondamentaux. Si le gouvernement fédéral met en œuvre des restrictions à l’utilisation de la dérogation au moyen d’une modification constitutionnelle, les provinces seront peut-être incitées à faire de même. J’espère que les provinces verront les avantages de s’imposer des limites et réduiront la tyrannie de la majorité dans l’utilisation de la disposition de dérogation.
On pourrait faire valoir que la disposition de dérogation est tombée en désuétude puisqu’elle n’a pas été utilisée au fédéral depuis 43 ans. Par conséquent, il est plus facile pour le gouvernement fédéral que pour les provinces d’en restreindre l’utilisation.
Ainsi, il pourrait désormais exister une convention constitutionnelle d’inutilisation. C’est également l’avis du sénateur Cotter qui, dans le même discours que j’ai mentionné précédemment, a déclaré :
[...] nous avons mûri en tant que pays [...] avec l’aide de la Cour suprême du Canada et de sa propre expression des droits et de leurs limites. Nous avons mûri dans notre compréhension des droits fondamentaux et de leurs limites au point que l’ingérence parlementaire pour nier ces droits n’est plus nécessaire — d’où une convention, au moins en ce qui concerne le Parlement, portant que la disposition de dérogation est inopérante.
Il ajoute que ce mûrissement :
[...] nous a amenés à reconnaître par principe, en tant que citoyens, qu’il n’est plus sage de préserver la suprématie parlementaire d’une manière qui puisse nier les droits [...] de la personne.
Il poursuit ainsi :
[...] nous sommes dans une nouvelle ère où la préservation de certains droits, ceux qui sont inscrits, définis et circonscrits de manière adéquate dans la Charte, ne devrait pas être exposée aux aléas de la suprématie parlementaire.
C’est ce que j’ai pensé quand j’ai entendu pour la première fois le chef de l’opposition de l’époque laisser entendre qu’il avait l’intention de recourir à la disposition de dérogation. Toutefois, il y a lieu de se poser les questions suivantes : que se passera-t-il si les provinces continuent à trahir l’esprit du compromis de 1982 en continuant de recourir à la disposition? Quand le gouvernement fédéral peut-il intervenir, si tant est qu’il le fasse?
Le gouvernement fédéral dispose toujours d’un outil efficace : le désaveu. Prévu à l’article 90 de la Constitution, le désaveu permettrait essentiellement au Cabinet fédéral de supprimer des lois provinciales du recueil des lois.
Le dernier recours au pouvoir de désaveu remonte à 1943, alors on peut soutenir qu’il existe également une convention constitutionnelle relativement à sa désuétude.
S’il y a une perpétuation des atteintes aux droits à l’échelon provincial, un gouvernement fédéral pourrait-il dépoussiérer cette disposition? Cela provoquerait probablement des crises simultanées dans le constitutionnalisme et le fédéralisme, et cela n’en vaudrait probablement pas le coût sur le plan politique, alors respirons. Une convention de désuétude de l’article 33 au niveau fédéral et une convention de désuétude du désaveu devraient être respectées. Une erreur n’en répare pas une autre.
J’ai présenté le projet de loi S-218 en pensant aux premiers rédacteurs de la disposition de dérogation et à leur volonté de parvenir à un compromis. Ce projet de loi est lui-même un compromis : même si je préférerais que la disposition soit tout bonnement abolie, je propose plutôt des mesures de sauvegarde. Elles n’empêchent pas son utilisation et elles ne manquent pas de respect à la suprématie du Parlement. Elles limitent toutefois son utilisation au niveau fédéral en veillant à ce que des conversations appropriées se déroulent pour informer les Canadiens, qui sont les arbitres ultimes de leurs droits et de l’état de ces derniers.
Si M. Poilievre a d’abord fait allusion à l’utilisation de la disposition de dérogation devant l’Association canadienne des policiers, il a complètement abandonné la subtilité pendant la campagne électorale, affirmant qu’il invoquerait cette disposition pour imposer des peines d’emprisonnement consécutives. Cette déclaration n’est peut-être pas si choquante, mais gardez à l’esprit que c’est la première fois qu’on en promet l’utilisation à l’échelon fédéral.
Pour reprendre l’analogie de Benjamin Perrin, ancien conseiller juridique du premier ministre Harper, la disposition de dérogation est à la Charte :
[...] ce qu’une sortie de secours est à un avion : vous avez intérêt à avoir une très bonne raison de vous en servir, et vous devez être prêt à vous expliquer par la suite.
Je remarque que le recours à cette disposition ne figurait nulle part dans le programme écrit du Parti conservateur. Cela me porte à croire que M. Poilievre se soucie davantage de la politique que de la Constitution, et qu’il est prêt à recourir à un abus de pouvoir pour atteindre ses fins politiques.
Il suit également le mouvement provincial en tentant d’assimiler la légitimité démocratique à l’atteinte aux droits.
L’argument de la légitimité démocratique est peu convaincant, surtout lorsque le débat public nécessaire est pratiquement inexistant. Ce qui est peut-être plus inquiétant encore, c’est que le Parti conservateur semble soutenir globalement un tel abus de pouvoir, comme le montrent les propos de M. Poilievre qui reflètent la politique du Parti conservateur en matière de réformes du système de justice.
Même si la menace immédiate d’un recours à l’article 33 au niveau fédéral s’est atténuée au cours des dernières élections, je dirais qu’il est encore plus nécessaire, dans le cadre de la présente législature, de mettre en place des restrictions avant qu’une autre menace ne se présente. Les vents politiques tournent et nous devons nous y préparer.
Je demande que le projet de loi soit renvoyé à un comité pour étude, où nous pourrons faire appel à des experts désireux de participer à l’examen.
Les décisions relatives aux droits ont toujours été envisagées comme un dialogue entre les gouvernements et les tribunaux après que ces derniers se sont prononcés. Le fait d’écarter les tribunaux réduit les droits à un monologue, un soliloque de la majorité élue. Il est temps d’insister sur la suprématie constitutionnelle.
Merci.
(1850)
L’honorable Denise Batters : Sénateur Harder, pendant votre discours, vous avez dit que la Chambre des communes devait avoir plus de pouvoir décisionnel que le Sénat pour ce genre de projet de loi. Vous avez aussi souligné que les sénateurs ne sont pas élus et que « nous ne sommes donc pas habilités à amorcer » un tel projet de loi, qui se sert de l’article 33 de la Constitution.
Si, pour vous citer, les sénateurs « ne sont pas habilités à amorcer » un projet de loi qui se sert d’un article de la Constitution, pourquoi seraient-ils habilités à amorcer votre projet de loi, qui cherche à empêcher le recours à un article de la Constitution?
Le sénateur Harder : C’est une excellente question. Je me la suis posée, moi aussi, et je me suis dit qu’il fallait commencer quelque part. J’aurais volontiers soutenu un projet de loi du gouvernement ou un projet de loi présenté à la Chambre des communes, mais nous pouvons commencer ici et susciter l’intérêt de l’autre Chambre.
La sénatrice Batters : C’est toute une réponse. Vous avez passé beaucoup de temps — tant dans votre discours d’aujourd’hui que dans celui que vous avez prononcé précédemment sur la motion —, à parler de l’utilisation de la disposition de dérogation par les gouvernements populistes. Le gouvernement néo-démocrate de la Saskatchewan, sous l’ancien premier ministre Allan Blakeney — n’eut été d’Allan Blakeney, je suis sûre que vous conviendrez que la disposition de dérogation ne ferait pas partie de la Constitution; c’était sa condition pour le rapatriement de la Charte. Le premier ministre Allan Blakeney était un boursier Rhodes et un éminent spécialiste du droit constitutionnel. Pourtant, la disposition de dérogation, son utilisation et le fait qu’elle ne soit pas limitée aux provinces, mais qu’elle puisse également être utilisée par le gouvernement fédéral, ont été inclus dans la Constitution canadienne par souci d’assurer un équilibre entre les droits. En outre, je suis convaincue que l’ancien premier ministre néo-démocrate de la Saskatchewan, Allan Blakeney, ne se serait jamais qualifié de populiste.
Au cours des premières années de la Charte, le gouvernement provincial du Québec a utilisé la disposition de dérogation de manière préventive pratiquement chaque fois qu’il a présenté un projet de loi. Sachant cela, ne reconnaissez-vous pas que ce ne sont pas seulement les gouvernements populistes qui ont considéré la disposition de dérogation comme le meilleur moyen d’assurer l’équilibre entre les droits?
Le sénateur Harder : D’abord, juste une chose concernant l’ancien premier ministre Blakeney. Vous avez raison, c’était un constitutionnaliste bien éduqué et un diplômé de Dalhousie, si je ne m’abuse. Son procureur général, Roy Romanow, a signé la lettre que j’ai mentionnée plus tôt qui disait qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de l’utiliser de manière préventive. Selon moi, c’était la malédiction du recours à la disposition de dérogation effectué par diverses provinces. Je crois que M. Blakeney serait d’accord avec l’interprétation que son procureur général avait de l’utilisation préventive.
En ce qui a trait à mon observation concernant les gouvernements populistes, vous avez raison; ce ne sont pas seulement des gouvernements populistes qui sont de cet avis, bien que ceux-ci ont défendu le recours à la disposition de dérogation pour des groupes ciblés bien précis. Nous pourrions débattre cette question; j’en serais ravi.
L’honorable Michael L. MacDonald : Sénateur Harder, vous avez fait remarquer, avec raison, que sans l’article 33 et la disposition de dérogation, le rapatriement de la Constitution n’aurait pas eu lieu et nous n’aurions pas eu de Charte des droits. Ce n’est pas sans rappeler la Conférence de Charlottetown, en 1864, où l’on a passé plus de la moitié du temps à décider de la composition du Sénat et à décider s’il y aurait ou non un Sénat. À l’époque, l’argument présenté était essentiellement « pas de Sénat, pas de Canada ». Donc, des compromis se font quand on traite d’une question constitutionnelle.
Une voix : Dieu merci.
Le sénateur MacDonald : Vous avez mentionné que l’article 33, de par sa nature, ouvre la porte aux abus. Estimez-vous que l’invocation de l’article 33 par les gouvernements du Québec et de la Saskatchewan était un abus?
Le sénateur Harder : Permettez-moi de commenter tout d’abord votre remarque plus générale selon laquelle il s’agissait d’un compromis nécessaire. Je suis tout à fait d’accord et j’y ai fait référence. C’est pourquoi je ne dis pas que nous devrions abolir la disposition de dérogation — ni le Sénat d’ailleurs — mais je souligne qu’au lac Meech et à Charlottetown, le premier ministre Mulroney a beaucoup critiqué la disposition de dérogation. Les amendements qu’il a déposés à Charlottetown et au lac Meech visaient à renverser le processus et, dans un sens, à éviter ce compromis afin d’inclure dans la Constitution une toute nouvelle série d’éléments qui auraient eu, au moins, l’appui du gouvernement du Québec.
J’estime important de préciser que les dirigeants fédéraux, de Pierre Elliott Trudeau à Mulroney, Chrétien, Harper et Justin Trudeau, ont tous soutenu l’idée que le fédéral ne devrait pas invoquer la disposition de dérogation. Quarante-trois ans se sont écoulés et le gouvernement du Canada n’a jamais invoqué la disposition de dérogation.
Votre question porte sur l’invocation de la disposition de dérogation par les provinces. J’ai fait une déclaration à la Chambre sur le projet de loi C-21, exprimant mes préoccupations quant à son utilisation abusive. Le présent projet de loi ne traite pas de l’utilisation de la disposition de dérogation par les provinces, mais cherche à établir une norme plus stricte pour son utilisation au niveau fédéral. Espérons qu’elle puisse servir de guide et d’inspiration pour les gouvernements provinciaux et la société civile.
Son Honneur la Présidente : Le temps prévu pour le débat est écoulé.
L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) : J’aimerais savoir si le sénateur Harder serait prêt à demander plus de temps afin que je puisse lui poser une question.
Son Honneur la Présidente : Sénateur Harder, demandez-vous plus de temps?
Le sénateur Harder : Seulement si le sénateur Housakos a des questions à poser.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Housakos : Je suis un peu perplexe, car j’ai toujours pensé que le Sénat avait pour rôle d’être le gardien de la Charte des droits et de la Constitution du pays. Il y a les provinces, il y a les assemblées législatives élues, il y a le Parlement du Canada, et il y a une formule pour modifier la Constitution. C’est au cœur même de la Constitution canadienne, de la Charte des droits et libertés. Ne pensez-vous pas qu’il serait beaucoup plus approprié de laisser cette question aux élus qui ont expressément le droit légitime de modifier la Constitution et la Charte, et que ce n’est pas ici qu’il convient d’amorcer un tel débat?
Le sénateur Harder : Au contraire, monsieur le sénateur. Premièrement, il ne s’agit pas d’une modification de la Constitution qui relève de la formule de modification générale. Cette question relève strictement des prérogatives du Parlement du Canada et, comme je l’ai indiqué, le projet de loi lui-même accorde davantage d’autorité ou un plus grand poids aux considérations de la Chambre des communes. Je crois sincèrement qu’une modification de mode et de forme relève tout à fait de la compétence du Sénat. J’espère que nous la transmettrons à l’autre chambre, qui se penchera également sur la question.
Encore une fois, il ne s’agit pas ici de la formule de modification en soi ni de l’utilisation, abusive ou non, de la disposition de dérogation par les provinces. Il s’agit plutôt de la manière dont le Parlement du Canada traiterait un projet de loi contenant une clause de dérogation si on lui en présentait un, ainsi que des modalités selon lesquelles nous, en tant que chambres législatives, tant la Chambre des communes que le Sénat, nous traiterions ce projet de loi. Je pense qu’il s’agit simplement d’une bonne pratique de se pencher sur la question.
Le sénateur Housakos : Une modification? Nous avons pour tradition, dans cette enceinte, de ne pas modifier les projets de loi de finances, mais nous voilà en train de modifier la Charte des droits et libertés et la Constitution et de dicter à un futur premier ministre ou au premier ministre actuel comment il peut utiliser ce qui est légitimement constitutionnel dans la Constitution et la Charte. Je pense que beaucoup de gens à l’autre endroit et, plus fondamentalement, au Cabinet du premier ministre et parmi les députés ministériels trouveraient cela tout à fait choquant.
Le sénateur Harder : Convenons alors de l’envoyer là-bas pour que la Chambre l’examine et en débatte. Traitons cette question rapidement ici au Sénat et transmettons-la à la Chambre, comme vous l’avez mentionné, pour qu’elle s’en occupe.
Je répète que la modification de la Constitution que ce projet de loi vise à apporter respecte le mode et la forme que le Parlement adopterait — le cas échéant — pour examiner un projet de loi utilisant la disposition de dérogation. Je pense que vous avez raison. Transmettons cela à la Chambre des communes, parce que cela mérite d’être débattu.
(1900)
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.
Vous plaît-il de ne pas tenir compte de l’heure?
Des voix : D’accord.
Son Honneur la Présidente : Il en est ainsi ordonné.
Je voudrais clarifier quelque chose, sénateur Harder. Quand vous avez demandé davantage de temps de parole, était-ce seulement pour répondre à la question du sénateur Housakos, ou demandiez-vous cinq minutes de plus?
Le sénateur Harder : Je serais heureux de répondre aux questions du sénateur Housakos, mais je serais également heureux que les sénateurs puissent souper.
Le sénateur Housakos : Sénateur Harder, il est évident que la Chambre approuvera votre projet de loi, mais je pense que tous mes collègues s’accorderont à dire qu’une question aussi importante que celle de la Charte et de la Constitution doit être traitée, mais de manière approfondie, sans précipitation.
Le sénateur Harder : Le gouvernement est lent jusqu’à ce qu’il soit rapide, un principe qui s’applique assurément au Sénat. J’espère que nous pourrons renvoyer ce projet de loi à un comité et entendre des témoins, parce que je pense que cela éclairerait notre compréhension collective et contribuerait peut-être à élargir le débat public avec les parties intéressées.
Je ne suggère en aucun cas que nous nous précipitions tête baissée, mais plutôt que nous progressions suffisamment pour qu’un examen en profondeur approprié à l’étape de l’étude par le comité puisse figurer parmi nos priorités.
Son Honneur la Présidente : Sénateur Harder, deux autres sénateurs souhaitent poser des questions. Demandez-vous plus de temps?
Le sénateur Harder : Pourquoi pas. J’ignore de qui il s’agit, mais oui, absolument.
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour accorder cinq minutes supplémentaires?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Batters : Sénateur Harder, lorsque vous parlez des critères à respecter pour qu’un « projet de loi attentatoire » puisse être adopté par la Chambre des communes, vous voulez dire qu’un projet de loi invoquant la disposition de dérogation devrait être appuyé par les deux tiers des députés, y compris des membres d’au moins deux groupes composés exclusivement des députés qui adhèrent à un même parti reconnu.
Je donne un exemple pour que les gens réalisent ce dont il est question ici et à quel point ces critères sont lourds. Honnêtement, j’ai un peu l’impression qu’on vise à empêcher complètement un tel recours. À l’heure actuelle, la Chambre des communes compte 343 députés. Pour qu’une telle mesure soit adoptée, il faudrait qu’au moins 228 députés l’appuient, ce qui signifie, puisqu’ils doivent provenir d’au moins deux groupes différents, que les seuls deux groupes qui pourraient satisfaire à ce critère sont les libéraux et les conservateurs.
Est-ce voulu que ce critère soit si lourd qu’il rend impossible toute éventuelle adoption d’un recours à la disposition de dérogation?
Le sénateur Harder : Madame la sénatrice, c’est Peter Lougheed qui a eu cette idée en premier, et je pense que puisqu’il s’agissait de l’un des fondateurs de l’argument constitutionnel et, en fait, du compromis qu’est la disposition de dérogation, nous devrions lui prêter attention et tenir compte de ses inquiétudes quant à l’utilisation abusive de cette clause.
Est-ce que j’essaie de compliquer le recours à cette disposition? Absolument, j’essaie de le compliquer, car nous parlons ici de violer des droits enchâssés dans la Constitution. Alors oui, rendons cela difficile.
L’honorable Scott Tannas : J’ai une dernière question, sénateur Harder. Je vais avouer mon ignorance, car je ne suis pas juriste.
Si un futur gouvernement décidait d’adopter un projet de loi prévoyant une modification du Code criminel, comme vous l’avez mentionné — il faudrait que ce soit un projet de loi —, ne pourrait-il pas simplement ajouter un libellé pour contrecarrer votre mesure dans ce même projet de loi, puis poursuivre son chemin? Avez-vous mis en place une protection pour protéger votre projet de loi contre un vote à la majorité simple qui pourrait l’annuler à la Chambre des communes à l’avenir?
Ce qui m’inquiète, c’est que nous avons vu cela dans le domaine du droit du travail. Les syndicats doivent voter au scrutin secret, et ensuite, non, ils peuvent venir chez vous et vous obliger à adhérer, et ainsi de suite. Depuis que je suis sénateur, cela s’est fait de trois manières différentes.
Est-ce que c’est ce que nous ferons avec la Constitution à présent, c’est-à-dire que chaque gouvernement pourra la modifier? Craignez-vous que cela ne compromette le caractère sacré de la Constitution telle qu’elle existe aujourd’hui?
Le sénateur Harder : Monsieur le sénateur, n’oubliez pas qu’il s’agit d’un projet de loi de mode et de forme qui ne modifie en rien les protections prévues par la Charte. Il ne fait qu’inclure le processus à suivre pour l’adoption d’un projet de loi qui invoque la disposition de dérogation.
Je n’ai pas inclus la modification de mode et de forme et j’ai expliqué pourquoi. Cependant, un gouvernement déterminé à faire adopter un projet de loi qui enfreindrait le mode et la forme que nous aurions pu adopter devrait d’abord faire adopter une loi abrogeant le mode et la forme avant de pouvoir faire adopter son projet de loi.
Je compte sur le débat intelligent des parlementaires et des sénateurs issus de la société civile pour coopérer avec un gouvernement qui proposerait d’agir de la sorte dans une discussion plus sérieuse sur ce que sont nos droits et libertés garantis par la Charte et sur ce que signifie leur violation. Ce serait plus complexe que la double protection, si je puis m’exprimer ainsi, à laquelle vous avez fait allusion.
J’ai délibérément décidé d’opter pour une approche que je qualifierais de légère quant au mode et à la forme, mais il s’agit bien d’une modification constitutionnelle. Je ne modifie pas la formule de modification avec l’exigence de mode et de forme.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : J’aimerais rappeler à tous les honorables sénateurs que le vote pour l’élection à la présidence intérimaire est en cours dans l’aire de travail des sénateurs et se poursuivra jusqu’à une heure suivant l’ajournement du Sénat aujourd’hui.
Le vote reprendra demain, le mercredi 4 juin, à partir de 11 heures (heure de l’Est) et se terminera une heure après l’ajournement du Sénat, à condition que tout sénateur qui était en attente à cette heure ait l’occasion de voter.
L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-13(2) du Règlement, je propose :
Que la séance soit maintenant levée.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
(À 19 h 8, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)